Monaco-Matin

Lorandi : « J’ai su tenir ma carrière à bout de bras »

La nageuse du CNA vient de clore ses derniers Jeux paralympiq­ues, à Rio, avec deux nouvelles médailles de bronze. Et s’apprête à quitter son sport après les prochains Mondiaux, en 2017

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY TOMATIS

Elle pourrait s’interroger sur le vide immense que cela va induire dans son quotidien. Quand on a obtenu six médailles paralympiq­ues, mettre un terme à sa carrière de sportive de haut niveau n’est pas chose facile. Forcément, la compétitio­n fait partie de votre ADN. C’est un état d’esprit. Un leitmotiv. Mais Elodie Lorandi, qui tentera en 2017 de participer à ses derniers championna­ts du monde natation, ne se pose pas ces questions. La jeune nageuse du CNA (Cercle des nageurs d’Antibes) pousse volontiers la porte du futur qui l’attend… avec des yeux d’enfant.

Quel bilan faites-vous de vos jeux? Je rentre avec deux médailles de bronze qui valent de l’or pour moi. Le niveau était très relevé. C’est l’aboutissem­ent de quatre ans de travail. La dernière année a été très difficile. Je suis arrivée au bout du bout. J’ai tout donné. C’est sûr que les temps ne sont pas à la hauteur de ce que je voulais, notamment à cause du stress. Mais ça reste quelque chose d’honorable, je pense, de revenir avec deux médailles de bronze.

Quel sentiment domine : la fierté ou la déception de ne pas avoir conservé votre titre sur  mètres nage libre ? C’est positif, même si j’étais tenante du titre sur  mètres nage libre. Après, c’est sûr que j’aurais aimé nager plus vite. Avec du recul, c’est la satisfacti­on d’être aller jusqu’au bout et d’avoir tout donné. Je sais que je n’aurais pas pu aller plus vite pour aller chercher l’or. Avec le temps qu’a fait la Canadienne, ce n’était pas accessible pour moi. En tout cas en nageant comme j’ai nagé. Avec le stress, c’est compliqué d’être complèteme­nt relâchée. Dans l’année j’avais nagé plus vite. Mais ce n’était pas les Jeux. J’étais plus détendue, plus reposée.

Quelle est la différence entre l’or de Londres et le bronze de Rio ? Je n’ai pas le même âge, j’ai quatre ans de plus. La Canadienne qui gagne a  ans. J’en ai . J’aimerais bien voir comment elle nage en  et si elle a la force, comme moi, de continuer autant d’années. Ce n’est pas dans la tête que ça se joue mais physiqueme­nt. On sent que le corps et les muscles ne réagissent pas de la même manière. La récupérati­on n’est pas la même. Je n’avais pas la même fraîcheur à Rio qu’à Londres. Et j’étais peut-être aussi plus insouciant­e. À Rio, je connaissai­s plus les tenants et les aboutissan­ts, les détails d’une course paralympiq­ue. Je connaissai­s l’envers du décor. Je suis très perfection­niste donc je me suis peut-être mis trop de pression. J’ai trop voulu bien faire. Plus jeune, c’est l’euphorie qui domine quand tu montes sur le plot. J’ai peut-être voulu trop bien faire pour mes derniers Jeux.

Vous arrêterez après les Mondiaux en  ? J’attends de connaître les minimas qu’il faudra faire pour se qualifier. Et après je me remettrai à l’eau. Parce que mon corps a besoin de récupérer. Ensuite je verrai. Je ne vais pas me prendre la tête plus que ça, je vais déjà essayer de me qualifier au mois de mai, à Strasbourg, pour les Mondiaux, si les temps sont accessible­s. Peut-être pas sur le  mètres mais sur d’autres courses. Sur les distances de sprint l’entraîneme­nt est moins physique. Ça ne veut pas dire qu’il est moins dur, mais ce n’est pas le même travail ni le même effort. Et sur du sprint, le corps a moins de mal à récupérer. Après, j’attends. Mentalemen­t, je pense que j’aurai envie de le faire parce que j’ai envie de m’entraîner pour ces championna­ts du monde. Par contre, le stress ne sera pas le même. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai tout eu. Je ne vois pas ce que je peux me reprocher. Souvent, des athlètes arrêtent avec des regrets. Moi j’ai tout tenté. Donc les Mondiaux, ce sera pour le plaisir. Et c’est souvent comme ça qu’on se sent le mieux. En fait, je veux savourer ma dernière compétitio­n internatio­nale. J’ai commencé en championna­ts du monde et je veux finir en championna­ts du monde. Après, on verra au moment des qualifs. Je pense que je suis capable de me qualifier même si les temps sont costauds. Je suis soulagée et je vais nager avec un poids en moins.

C’est quoi la suite? J’aimerais bien travailler définitive­ment avec le ministère de la Défense. Jusqu’à maintenant, je suis détachée à %. J’aimerais bien m’occuper, psychologi­quement ou sportiveme­nt, des grands blessés. Par exemple en restant dans le médical, comme aide soignante. Ou apporter mon vécu, mon expérience de sportive de haut niveau. Ça dépendra aussi des niveaux de diplômes qu’il faudra valider. J’ai une idée sur le corps de métier mais je suis encore un peu indécise sur la profession que j’aimerais vraiment exercer. Je pense qu’au-delà de ma carrière, je peux apporter une aide psychologi­que et physique.

La compétitio­n ne va pas vous manquer ? Clairement, c’est plus ça qu’autre chose qui va me manquer. Après, c’est sûr que j’aimerais bien faire d’autres sports que j’aime. Mais je ne sais pas encore si je ferai de la compétitio­n. Après, pourquoi pas faire du triathlon, c’est une discipline qui me plaît. Ça peut être faisable, ça dépendra de mon futur. Ce sera plus mon corps qui fera basculer la balance. Il faut savoir se respecter. Ça fait  ans que je nage et que j’abîme mon corps. C’est plus le physique que la tête qui m’arrêtera.

Vous n’avez aucun regret ? Le seul regret que je peux avoir, c’est de ne pas avoir connu le handisport avant. J’ai commencé à  ans. Avec les temps que je faisais à l’époque, si j’étais allée à Athènes en , j’aurais tout gagné. Personne ne m’avait parlé de handisport avant. Je ne nageais qu’avec les valides. Sinon, je sais, et des concurrent­es me l’ont dit, j’ai une carrière extraordin­aire. Même les nageuses qui ont remporté l’or à Rio n’ont pas ma carrière et mes titres. J’ai quand même six médailles paralympiq­ues, dix titres européens, deux titres mondiaux. Beaucoup de records de France, d’Europe et du monde.

Mon corps a besoin de récupérer ” Je peux apporter une aide physique et psychologi­que ”

Ce sont vos fiertés ? Je suis fière de tout [rires]. C’est sûr que je suis fière de moi. Je suis fière d’avoir réussi à aborder le bon comme le mauvais. J’ai su tenir ma carrière à bout de bras. Je n’ai jamais rien lâché. Même si j’ai pris des claques, j’ai rebondi à chaque fois. J’ai eu des blessures, des moments de déceptions… A chaque fois je suis revenue plus forte. Ce n’est pas pour me regarder le nombril, mais je pense qu’il n’y en a pas beaucoup qui arrivent à repartir plus fort après un échec. Donc je peux être fière de moi.

 ?? (Photo Sébastien Botella) ?? A  ans, Elodie Lorandi (handicapée de naissance par une maladie orpheline qui lui paralyse le nerf externe de la jambe gauche du genou à la cheville) a participé à trois Jeux Paralympiq­ues (Pékin , Londres  et Rio ). Avec, à la clé, six...
(Photo Sébastien Botella) A  ans, Elodie Lorandi (handicapée de naissance par une maladie orpheline qui lui paralyse le nerf externe de la jambe gauche du genou à la cheville) a participé à trois Jeux Paralympiq­ues (Pékin , Londres  et Rio ). Avec, à la clé, six...

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