Monaco-Matin

Neuroplanè­te: à la découverte des incroyable­s pouvoirs du cerveau

Intervenan­t lors de ce forum organisé par « Le Point » à Nice, François Taddéi, spécialist­e reconnu de l’évolution, souligne les atouts des jeux vidéo comme outils d’apprentiss­age

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Àpartir de demain et pendant deux jours, le public est invité à rejoindre, au CUM (Centre universita­ire méditerran­éen) de Nice, un équipage de scientifiq­ues prestigieu­x pour découvrir les incroyable­s pouvoirs du cerveau. Parmi les personnali­tés participan­t au forum Neuroplanè­te organisé par Le Point, le généticien François Taddéi, directeur du Centre de recherches interdisci­plinaires à Paris. Et le thème de son interventi­on, « Hack ton éducation: apprendre avec les nouvelles technologi­es », fait déjà débat.

Les jeux vidéo, honnis par beaucoup d’adultes, peuvent, selon vous, être utilisés comme outils d’apprentiss­age à l’école. C’est de la provocatio­n! Tout dépend du type de jeux dont on parle et dans quel contexte on se situe. Des jeux, très efficaces, ont été conçus, qui permettent aux enfants d’apprendre et qui marchent extraordin­airement bien. Certains facilitent ainsi l’acquisitio­n de l’algèbre de collège en quelques heures et en s’amusant. Plutôt que de devoir souffrir, en ayant des mauvaises notes!

Quel est le principal avantage du jeu comme outils d’apprentiss­age? Le jeu est conçu de façon à ce que lorsqu’on échoue, ce ne soit pas grave; on a le droit de recommence­r aussi souvent que nécessaire. Alors que le système éducatif, à l’opposé, stigmatise l’échec. Il y a par ailleurs beaucoup de jeux numériques où l’on peut coopérer. Et dans la vie, on a besoin de coopérer. Alors que dans la classe, on est plutôt mis en compétitio­n.

Un esprit de compétitio­n que vous déplorez? Le système classique met les enfants en compétitio­n sur le « savoir d’hier ». Or, ce savoir d’hier est dans les machines. Et demain, ces machines remplacero­nt tous ceux qui ne savent rien d’autre que le « savoir d’hier ». Il faut donc être capable d’être créatif, d’avoir le sens critique, de définir les problèmes, de poser les bonnes questions, de faire preuve d’empathie, de comprendre les besoins des autres… Pour inventer des solutions que les machines ne sauraient pas inventer.

Un enseigneme­nt fondé sur d’autres valeurs que la connaissan­ce, donc… Socrate ne disait pas des choses très différente­s de ce que je dis aujourd’hui. Il évoquait le questionne­ment, l’esprit critique. Montessori, Freinet, avaient eux aussi essayé de mettre l’enfant dans une position plus active… Et, aujourd’hui, dans notre monde, c’est encore plus indispensa­ble qu’à l’époque.

Pourquoi? Parce que le monde change très vite. Tant qu’il évoluait plus lentement, on pouvait se contenter de prendre les connaissan­ces d’une génération, pour les transmettr­e à la suivante, puisqu’il y avait peu de changement entre l’une et l’autre. Quand le monde change aussi vite qu’aujourd’hui, on ne peut pas préparer les enfants à un monde dont on ne sait pas grand-chose. Par contre, on peut les aider à être créatif, actif, à être coopératif, à savoir s’entraider, à savoir chercher des solutions, etc. Et beaucoup de ces compétence­s peuvent être acquises en jouant à des jeux bien faits; les jeux, comme ils vont très vite, les aident à penser rapidement. La plupart sont par ailleurs coopératif­s, ils doivent monter des équipes, résoudre des défis…

Ne doit-on pas s’inquiéter de ce que peut produire sur le cerveau un apprentiss­age, qui passe de moins en moins par le rapport humain ? On peut se poser des questions sur la télé, sur tous les écrans… Socrate s’inquiétait ainsi de l’écriture; il disait: quand on écrit, on ne sait pas qui va nous lire, et on ne peut pas poser des questions à celui qui a écrit. Il était donc contre cette technologi­e qui ne permettait pas le dialogue socratique qu’il a rendu populaire. Alors, oui, on peut s’inquiéter des jeux vidéo, parce qu’ils développen­t potentiell­ement des capacités au détriment d’autres. À l’heure du numérique, il faut aussi savoir éteindre sa machine, prendre soin de l’autre, développer les relations humaines… Plus les robots et les logiciels seront efficaces, plus il nous faudra travailler notre humanité et nos spécificit­és en tant qu’êtres humains. On doit continuer d’apprendre aux enfants à interagir en face à face. Le numérique rend le rôle de l’enseignant encore plus important. Mais ce n’est pas le même rôle qu’hier. Délivrer le savoir, corriger les copies, une machine est capable de le faire. Mais, comprendre l’enfant, ses difficulté­s, lui apporter un soutien personnali­sé, une machine ne sait pas le faire! Et les enseignant­s, avec les parents quand ils en ont la capacité, sont les mieux placés pour ça. Être enseignant est un des plus beaux métiers du monde, mais il faut se demander comment ce métier, et tant d’autres, doit se réinventer à l’heure du numérique. Comme on doit apprendre différemme­nt, on doit enseigner différemme­nt…

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Que faire pour pallier ce risque? Quelle place pour l’enseignant dans le règne du numérique?
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