Monaco-Matin

Christian Iacono : après « Le Mensonge », ses vérités

L’ex-maire de Vence, accusé de viol par son petit-fils puis blanchi par la justice, livre aujourd’hui « à coeur ouvert » un récit de « 15 années de calvaire ». Tout en réglant quelques comptes

- MICHEL DIVET mdivet@nicematin.fr

Le 10 juillet 2000 à 9 heures du matin, ma vie s’est arrêtée. C’était ma 65e année ». Le Mensonge (1), l’ouvrage témoignage de Christian Iacono publié aujourd’hui, s’ouvre par ses mots percutants. Le livre s’achève par un tonitruant «En avant la vie ! », formule fétiche de son ami Bernard rencontré en prison. 248 pages pour dire ses quatre vérités après une affaire « qui lui a coûté bien plus que 15 ans de sa vie ».

Pourquoi ce livre ? Pour moi tout d’abord. Raconter ses années pénibles, cette histoire exceptionn­elle, c’est une façon de tourner la page. J’espère aussi être utile aux autres, et peut-être en premier lieu à la justice afin que de telles erreurs ne se reproduise­nt plus. Quant au titre, il se réfère aux difficulté­s de notre société à reconnaîtr­e qu’un enfant peut être un menteur. Ce mensonge qui peut devenir une arme redoutable…

Dès votre interpella­tion en mairie, au coeur de l’été , vous dites qu’une « tornade » s’abat sur votre foyer à la suite des accusation­s de votre petitfils. Vous n’êtes pas tendre avec l’attitude des policiers qui débarquent chez vous ? Effectivem­ent, je dénonce de la brutalité, des insultes et une attitude partiale. Au tout début de l’affaire, à l’issue de la première nuit de garde à vue, un fonctionna­ire n’a pas hésité à me dire : « Je suis persuadé que vous êtes coupable ». Sans aucun élément concret. En revanche, aucun des enquêteurs ayant fouillé mon domicile n’a eu le courage de dire : « On n’a rien trouvé… »

Puis vient le premier contact avec le juge d’instructio­n. Là encore, vous brossez un portrait peu flatteur... Difficile d’accepter que soit employé sur un ton badin le terme « embastille­r ». J’écris qu’il reste des bastilles à faire tomber dans la tête de certains juges en France, que l’on est au stade de la lettre de cachet dans ce pays. Dans mon cas, l’emprisonne­ment ne se justifiait absolument pas. L’ouverture d’une enquête préliminai­re et un placement sous contrôle judiciaire suffisaien­t amplement.

Vous regrettez qu’en France « ce n’est pas à l’accusation de fournir les preuves d’une culpabilit­é mais à l’accusé à prouver son innocence ». Mais encore ? Je parle pour le type d’affaire difficile à appréhende­r qui m’a concerné. L’accusation doit s’armer d’éléments solides. Sinon, c’est la seule parole de l’enfant contre celle de l’accusé, toujours défavorabl­e à ce dernier. Une affaire délicate doit être abordée par des spécialist­es, avec un travail de fond. Beaucoup de celles et ceux qui ont traité mon dossier affrontaie­nt ce genre de cas de figure pour la première fois, ce qui n’est pas souhaitabl­e pour l’exercice serein de la justice.

Vous vous attachez à démonter l’accusation. Notamment les rapports des expertises médicales. En quoi ont-ils été importants ? Les résultats du premier examen clinique en  laissent entendre que l’enfant a subi « des sévices sexuels » et, conclusion immédiate, incroyable, qu’ils sont imputables « à son grand-père paternel ». Tout le monde s’est engouffré là-dedans, considéran­t les faits comme acquis. Les contreexpe­rtises obtenues quatre ans plus tard ont abouti à l’effondreme­nt du dossier médical...

L’accusation tenait aussi à la parole de l’enfant. Quels enseigneme­nts en tirez-vous ? En Amérique du Nord, des protocoles de recueil de la parole des enfants, reposent sur des principes simples comme celui de ne jamais poser des questions fermées afin d’éviter l’élaboratio­n d’un scénario en cours de route. La justice française semble réticente à l’applicatio­n de cette démarche scientifiq­ue.

Vous n’êtes pas tendre non plus avec une autre parole, celle de l’homme politique. Vous êtes très critique vis-à-vis de votre ancien premier adjoint devenu maire après votre démission... Quand je suis sorti de Nice et après ma démission de maire, j’espérais continuer à suivre de près les affaires municipale­s mais on m’a fait comprendre qu’il n’en serait rien. Ce fut comme une seconde peine pour moi. Le nouveau maire s’est éloigné de mon programme et les choses ont continué ainsi, même après la rétractati­on de Gabriel. Vous évoquez les exécrables relations avec votre fils Philippe. Point de départ, selon vous, de l’affaire. Or, les raisons de ce vieux conflit ne sont que partiellem­ent expliquées... Nous ne savons toujours pas, ma femme et moi, les raisons de cette haine exprimée par notre fils. Il peut ne pas nous aimer, je l’accepte. Mais l’irrespect vis-à-vis d’un père ou d’une mère, ça non... Reste que notre porte demeure ouverte...

Quelles sont vos relations aujourd’hui avec Gabriel ? Gabriel est aujourd’hui un jeune homme de  ans, papa, qui reste fragile, qui semble mal parti dans la vie. Il s’est rapproché de mon épouse et cela va un peu mieux depuis quelque temps. On ne sera pas toujours là pour l’aider puisque son père l’ignore. Gabriel le sait et tente de s’accrocher à son travail, à sa petite famille.

Quelques âmes trouvent tout de même grâce à vos yeux. Au sein de votre famille, du côté du comité de soutien. Certains détenus croisés lors de vos incarcérat­ions semblent vous avoir touché ? Ce fut surtout vrai au début de mon incarcérat­ion, en . Les détenus étaient corrects avec moi, respectaie­nt les cheveux blancs. À l’époque, les détenus d’origine maghrébine vous parlaient, semblaient avoir l’espoir de s’en sortir. En , le communauta­risme paraît s’être accentué et ces détenus restaient entre eux. Mais je garde le souvenir de belles rencontres, notamment de celui que j’appelle « Bernard ». Celui qui m’a écrit le soir de ma libération : « En avant la vie ! »

Des bastilles restent à faire tomber” Une seconde peine en mairie”

1. Le Mensonge (Christian Iacono), Sudarenes, 248 pages, 19 €.

 ?? (Photo M. D.) ??
(Photo M. D.)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco