Monaco-Matin

Un autre Mitterrand ?

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Mitterrand amoureux. Voilà qui manquait à la légende du personnage. Dernières retouches au portrait en pied de celui qui, vingt ans après sa mort, continue de piquer la curiosité des Français, si l’on en juge par l’avalanche de commentair­es (élogieux ou acides, jamais indifféren­ts) que suscite, dans la presse et les réseaux sociaux, la publicatio­n prochaine de sa correspond­ance avec Anne Pingeot. Plus de mille deux cents lettres, s’étalant tout au long d’une liaison qui dura plus de trente ans. Lettres venues de la face cachée de son existence, de l’autre côté du rideau d’ombre qui abritait le secret de sa deuxième vie. Les historiens y trouveront peut-être quelques pièces manquantes du puzzle FM ; les mitterrand­ophobes, d’accablante­s preuves de sa duplicité et de son cynisme ; les mitterrand­olâtres, l’émouvante révélation, sous l’image intimidant­e du monarque, d’un autre Mitterrand, plus fragile, plus proche, plus humain. Pour moi, ne faisant partie d’aucune de ces chapelles, et n’étant pas spécialeme­nt porté sur le voyeurisme people, il me semble que le livre vaut surtout comme autoportra­it. Ou plutôt comme autoportra­it de l’auteur en amoureux. L’amour, ici, devient objet littéraire. Matière première d’un journal intime écrit pour elle et pour lui, manifestem­ent pensé comme une oeuvre en soi, et peut-être avec l’idée qu’il serait publié un jour. De là le style très (trop ?) tenu, un certain lyrisme sec, une manière parfois de prendre la pose, de s’écouter écrire. Au fond, dans ces Lettres à Anne (Gallimard), c’est un roman bourgeois qui s’écrit sous nos yeux, jour après jour, à la première personne. L’histoire banale et chaque fois singulière des amours contrariée­s d’un homme d’âge mûr et d’une femme plus jeune. Passion, bonheurs cachés, moments volés, souffrance­s, courage de braver la morale commune… mais pas au point que l’homme envoie balader les convention­s et mette en péril sa position sociale. On a lu ça cent fois. Ce qui change tout, c’est l’auteur. Et le fait, justement, que ce n’est pas un roman mais l’histoire véridique d’un homme qui, exposé à tous les regards, aura pourtant réussi, trois décennies durant, à dissimuler – et par quels moyens ! – son petit tas de secrets. On y retrouve la voix d’un Mitterrand que nous avons appris à connaître. Habité par les questions spirituell­es et la perspectiv­e de la mort, jouisseur et convention­nel, ambitieux, narcissiqu­e, séducteur. Et puis un autre Mitterrand, passionné, enflammé, s’enivrant d’amour. Capable même, dans les premiers temps, de naïvetés quasi adolescent­es – l’amour, décidément, produit parfois des effets surprenant­s. Et qui pourtant jamais ne s’abandonne, ni ne perd de vue sa carrière. As du cloisonnem­ent et champion de self control. Dual plus encore qu’on ne l’avait soupçonné. Sincère ? Sans doute plus, dans ces lignes, qu’il ne l’a jamais été, lui qui confesse avoir appris à « abriter le secret de son être derrière un mur si haut et si épais » qu’il a « fini par s’y enfermer ». De plus en plus sincère, même, à mesure que vient la nuit. Mais même dans son journal intime, et même pour l’être aimé, est-on jamais tout à fait soi-même ?

« Il me semble que le livre vaut surtout comme autoportra­it. »

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