Monaco-Matin

Catherine Poulain: «La solitude en montagne ressemble à l’océan»

- A. M.

Catherine Poulain a une toute petite voix. Son premier livre est une grande histoire. Elle y raconte dix années à pêcher le flétan et la morue en Alaska, seule femme à bord du chalutier. Le Grand Marin (L’Olivier) a reçu sept prix littéraire­s dont le prix Joseph-Kessel. Elle est l’une des présidente­s du festival du livre.

Faut-il avoir vécu, pour écrire? Quand j’avais  ans, j’ai écrit des nouvelles, beaucoup de fiction. Est venu un moment où je me suis dit: «J’ai envie de vivre cette vie physique, ma vie, ce sera le livre.» Ce qui m’a plu, ce que j’ai essayé de rendre, c’est ce monde physique, et je n’ai pas eu envie d’y mettre du cérébral, ce sont les lecteurs qui se l’approprien­t et qui mettent leurs idées à eux. J’ai voulu donner de la chair, qu’on sente physiqueme­nt les choses. Vous racontez dans le livre comment vous avez avalé le coeur d’un flétan? Après avoir pêché le poisson, on le vide. Et puis il y a ce coeur du flétan qui continue à palpiter sur la table de découpe. C’est la grosse question du sang. De la vie. Ce coeur, il faut le mettre au chaud en soi, on ne peut pas le jeter.

Vous avez écrit le récit d’une femme dans un milieu d’hommes, il y a une dimension féministe ou ce n’est pas du tout le propos? Je ne pense pas. En septembre , avant que le livre ne sorte, lors d’une réunion avec les représenta­nts, l’éditeur a dit: «Ce livre est extrêmemen­t féministe », Ça m’a un peu dérangée. Je voulais qu’il ne soit pas question de compétitio­n, mais du fait de vivre ensemble, complément­aires. J’avais

demandé à prendre la parole et rajouté que c’était un livre d’amour, pour tous ces hommes. J’ai été très touchée lorsque les lycéens de Ouest-France ont choisi le livre; l’une de leurs raisons était: «Hommes et femmes peuvent vivre ensemble.» Mon livre est peut-être féministe, mais alors d’un féminisme qui est un humanisme. De l’Alaska aux Alpes-de-Haute-Provence, vous êtes devenue bergère, c’est la suite de l’histoire? Je suis rentrée d’Alaska par la force des choses, je n’ai pas choisi [elle a été expulsée des États-Unis en , fichée comme travailleu­se illégale, NDLR]. Je ne peux pas dire que je me sois installée quelque part, je faisais des saisons de bergère et des saisons de vigne. J’ai continué à avoir un mode de vie nomade. J’ai besoin de mouvement. J’ai choisi cette formation de bergère transhuman­te parce que la solitude en montagne ressemble à l’océan, quand le temps est mauvais, que l’on a ce troupeau dont on est responsabl­e et qu’on est seul. C’est là qu’on se dépasse. J’ai besoin de sentir mon corps vivant.

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(Photo DR) Catherine Poulain.

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