Ce qui est en jeu à Mossoul
La bataille de Mossoul a commencé. Son issue, sur le plan militaire, ne fait aucun doute. Le rapport des forces en présence, tant en hommes qu’en armements, rend inéluctable la défaite de l’État islamique, c’est-à-dire la chute de la dernière place forte du « califat » autoproclamé en Irak. D’un côté, une coalition hétéroclite réunissant quelque combattants (armée et police irakiennes, soldats turcs, peshmergas kurdes, milices sunnites et chiites), soutenue par la formidable puissante de feu de la coalition internationale emmenée par les États-Unis. De l’autre, à djihadistes, encerclés dans Mossoul, affaiblis par les récents bombardements qui ont décapité leur organisation. Qu’ils décident de fuir la ville, de s’évaporer dans la nature pour resurgir ailleurs, ou qu’ils choisissent de se battre rue par rue, maison par maison, en prenant la population en otage, les combattants de Daesh, un peu plus tôt, un peu plus tard, devront abandonner la place. Et nul ne le déplorera. Mais à quel prix? Et avec quelles conséquences? Telles sont les vraies questions. Les généraux irakiens peuvent bien rouler les mécaniques. Chez les observateurs et les responsables des instances internationales, c’est l’inquiétude qui domine. Et même l’angoisse. De l’avis de tous les experts, en effet, la bataille de Mossoul pourrait déclencher une crise
humanitaire sans précédent. , million de personnes sont en danger, dont enfants. Au risque de voir les familles prises entre deux feux s’ajoute la perspective d’un exode massif de la population; selon l’ONU, un million d’habitants pourraient être jetés sur les routes, livrés à la faim et au froid du désert. En regard de ces menaces, les assurances données par Bagdad semblent dérisoires. D’autant que le danger ne cessera pas avec la prise de la ville. Les meilleurs spécialistes de l’Irak redoutent que le départ de Daesh ne débouche sur des règlements de compte et des affrontements entre communautés. Au pire, sur un chaos généralisé et la « guerre de tous contre tous », selon l’expression de la chercheuse Loulouwa al-Rachid, c’est-à-dire entre les fractions rivales réunies au sein de la coalition, qui toutes ont des intérêts particuliers et se haïssent entre elles à peu près autant qu’elles haïssent le groupe État islamique. Mossoul, sur le site de l’antique Ninive, n’est pas n’importe quelle cité. Microcosme de l’Orient compliqué, objet de toutes les convoitises, c’est une mosaïque ethnico-religieuse inextricable, une « société frontière » où se croisent et s’enchevêtrent toutes les lignes de fracture de la région. C’est en quoi son sort ne peut nous laisser indifférents. Daesh vaincu, un chapitre de l’histoire du monde s’écrira ici. Pour le meilleur ou le pire. N’attendons pas trop du pouvoir irakien, faible et en quasi-faillite, et qui n’a manifestement aucun plan pour le jour d’après. Depuis deux décennies, de Bagdad à Tripoli, la prétendue « communauté internationale » a prouvé qu’elle était capable de mener et de gagner des guerres qui, souvent, n’ont fait qu’empirer les choses. À Mossoul, il lui reste à démontrer qu’elle est capable de réussir la paix.
« Daesh vaincu, un chapitre de l’histoire du monde s’écrira ici. »