Les troublants indices semés par le tueur au camion
En montant dans son camion de la mort, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a pris le soin d’emporter avec lui les éléments qui permettront de l’identifier. Dans la cabine on retrouve une carte de séjour, un permis de conduire ainsi qu’une carte de crédit, à son nom. Il n’est pas fiché « S » mais apparaît dans le système de traitement des infractions constatées, le fameux Canonge, pour des délits de droit commun. Ses empreintes vont donc très vite confirmer que le conducteur du camion est bien Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Jusque-là rien d’extraordinaire. De Mohammed Atta, chef présumé du commando du 11-Septembre, à Saïd Kouachi, l’un des deux frères qui ont attaqué Charlie Hebdo, nombre de terroristes ont laissé derrière eux ce type de signature. Peut-être même à dessein, pour faciliter une revendication par les organisations terroristes qui les commanditaient. En revanche, ces « soldats » prennent généralement le soinde ne pas compromettre d’autres frères d’armes susceptibles de passer à l’acte à leur tour. En utilisant par exemple des messageries cryptées telles que Telegram. Mohamed Lahouaiej Bouhlel a fait tout l’inverse.
Le dernier message du tueur
Dans ce 19-tonnes de location il a également emporté avec lui son téléphone portable. Les enquêteurs vont évidemment en explorer l’historique. Et ce qu’ils trouvent dans la carte mémoire de ce Samsung cette nuit-là est particulièrement inquiétant. À22 h 27, soit cinq minutes avant le début de l’attaque, Lahouaiej Bouhlel envoie le
SMS suivant à un certain Ramzy: « Je voulais te dire que le pistolet que tu m’as donné hier c’est très bien alors on ramène 5 de chez ton copain 7 rue Miollis 5e étage c’est
pour Chokri et ses amis » . Au travers de ce message, le présumé terroriste réussit donc le tour de force de donner aux enquêteurs le nom, « Ramzy », et le numéro de téléphone de celui qui lui aurait fourni le pistolet, le nom, « Chokri », d’un deuxième complice potentiel, ainsi qu’une adresse pour le moins précise qui conduira à un couple d’Albanais. Les qua- tre ont depuis été mis en examen. Et comme si cela n’était pas suffisant. Lahouaiej Bouhlel a également envoyé un peu plus tôt, à Ramzy, un précédent message, vocal celui-là, mais du même acabit. Si ce n’est qu’il est encore plus précis: « [...] le pistolet que tu m’as donné avant-hier est très bien. Dis à ton copain qui habite rue Miollis au 5e étage qu’il nous ramène cinq. Chokri et ses amis sont prêts pour le mois prochain maintenant ils sont chez Walid. » Outre le fait qu’il livre un complice de plus, « Walid », également mis en examen par la suite, ce message laisse entendre qu’un second attentat serait en préparation « pour le mois prochain » .
Du Samsung à la table du salon
« Ramzy » , le destinataire, « Chokri » et « Walid », qui prépareraient un mauvais coup, et le couple d’Albanais de la rueMiolis, « Enkelejda » et « Artan », ont bien sûr été interrogés sur la signification de ces messages. Au cours de leur garde à vue ils ont nié toute implication dans un projet terroriste. Pas plus celui qui vient de semer la mort sur la promenade des Anglais qu’un autre. Mais leurs déclarations se heurtent aux preuves semées par Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Ce 14 juillet, peu après 17 heures, le meurtrier a également pris une photo d’une liste de noms et de numéros de téléphones que les policiers retrouvent dans son Samsung. Il y a là Ramzy, Chokry, Walid et d’autres. Sont mêmes notées des lignes téléphoniques qu’ils disent ne plus utiliser depuis des mois. Les enquêteurs vont retrouver deux listes « pense-bête » similaires lors de la perquisition du domicile de Lahouaiej Bouhlel route de Turin. Bien en évidence, sur la table du salon, au dos d’une photocopie et sur un mouchoir en papier, se trouvent encore des énumérations de noms et de numéros de téléphone. En inspectant le petit appartement de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, les policiers vont aussi retrouver une pile de photographies. Les mêmesque celles qu’ils avaient déjà découvertes dans son portable. Il s’agit pour l’essentiel de selfies réalisés les jours précédant l’attaque. On y voit clairement le camion blanc de location… Ainsi que différents individus aux côtés du tueur. Ces documents compromettants sont parfois annotés au verso de mentions manuscrites: « Chokri », « Walid ». Mohamed Lahouaiej Bouhlel désigne à nouveau ses complices présumés.
Opportunisme médiatique ?
Cela commence à faire beaucoup de maladresses. Même pour un « terroriste atypique » . Les enquêteurs soulignent euxmêmes le comportement incohérent de ce Tunisien si peu pratiquant, converti depuis quelques mois à peine à un islam radical. Des vidéos de propagande djihadiste ont bien été retrouvéesdans l’historique de son ordinateur. Mais elles se mêlent à ses consultations régulières de sites pornographiques. D’ailleurs sur les listes manuscrites laissées derrière lui par Mohamed Lahouaiej Bouhlel figurent aussi plusieurs noms de femmes. Et son ex-épouse explique qu’il lui avait également envoyé ses photos de selfies si compromettantes pour qu’elle les imprime. Voulait-il également mêler à son entreprise meurtrière celle qui l’avait mis à la porte du foyer familial? Mohamed Lahouaiej Bouhlel a-t-il agi davantage par sadisme ou par vengeance que par conviction politique ou religieuse ? La revendication de cet attentat par Daesh ne suffit pas à lever le doute. Même dans l’esprit des enquêteurs qui constatent que « pour la première fois, l’Etat islamique reconnaissait comme l’un de ses soldats l’auteur d’une action isolée, alors que celui-ci n’avait fait aucune déclaration d’allégeance préalable. Compte tenu de l’ampleur de l’événement, Daesh pouvait y voir une opportunité à saisir afin de s’affirmer sur le plan médiatique.»