Turquie, danger immédiat
Feront-ils amende honorable tous ces beaux esprits qui nous ont expliqué pendant des années que la Turquie devait entrer dans l’Union européenne? Ils plaidaient, aumépris de la géographie, pour une Europe courant jusqu’aux confins du Caucase et de l’Asie, aux frontières de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et de l’Azerbaïdjan! L’Europe sans fin. Les Anglo-Saxons y tenaient et poussaient à cette ouverture qui permettrait la création d’un immensemarché et ancrerait Ankara dans le camp occidental. Les avocats de la Turquie européenne imaginaient que nos règles s’y imposeraient définitivement et qu’une démocratie islamique, soeur de la démocratie chrétienne, verrait le jour. Certes, la Turquie fut un temps proche de nous. Après la révolution kémaliste en y fut instaurée une République laïque dans laquelle les femmes obtinrent le droit de vote dès , fut interdite la polygamie, instauré le mariage civil, créée l’école primaire obligatoire tandis que l’islam cessait d’être la religion officielle. Autant de mesures qui ont rapproché, en effet, la Turquie de l’Europe tout au long du XXe siècle. Mais, au tournant des années , prenant d’abord les habits de la modernité, l’AKP de Recet Tayyip Erdogan s’empare dupouvoir pour revenir au fil des ans sur tous les acquis républicains de Mustapha Kemal. Le masque, aujourd’hui, tombe : la Turquie est en trainde se transformer en une république islamique autoritaire peu soucieuse de la démocratie et des droits de l’homme, bref en rupture avec toutes les valeurs occidentales. Prenant prétexte d’une tentative de coup d’État le juillet dernier, Erdogan a lancé une répression féroce. Après avoir vidé les prisons de prisonniers de droit commun, il y a expédié en trois mois personnes accusées de terrorisme et de complot contre le régime. Une purge terrible accompagnée du limogeage de fonctionnaires, de lamise à l’écart de dizaines de milliers d’autres, d’unplacement sous tutelle des universités, d’une chasse aux journalistes d’opposition, de la fermeture de nombreux médias, d’entraves aumétier d’avocat et, bientôt, d’une loi constitutionnelle pour rétablir la peine de mort. L’Europe peut- elle encore fermer les yeux devant une telle dérive? Elle murmure des critiques mais, tétanisée par la question des réfugiés syriens, elle n’élève pas la voix. On aimerait que nos dirigeants, si prompts à se parer de grands principes, soient plus cohérents dans leur défense. Nous pratiquons une incompréhensible politique dudeux poids deux mesures : pourquoi autant de fermeté avec la Russie et autant de complaisance envers la Turquie? La realpolitik est une chosemais la défense de nos valeurs ne peut être à géométrie variable.
« La Turquie est en train de se transformer en une république islamique autoritaire peu soucieuse de la démocratie et des droits de l’homme »