Permettre à la pensée de parler quand le corps est mutique Recherche
Une collaboration entre des professionnels de santé du CHU de Nice et des chercheurs de l’Inria a conduit au développement d’une interface cerveau-ordinateur pour les patients privés de parole
Et si onbuvait un coup? » « Vive le printemps » « Bravo aux chercheurs » « Violaine est super… » Des phrases simples que n’importe lequel d’entre nouspourrait prononcer sans susciter d’intérêt particulier. Mais, ces mots-là ne sont pas prononcés par n’importe lequel d’entrenous. Ils ne sont pas prononcés, tout court. Ils ont été pensés par des personnes atteintes de SLA (sclérose latérale amyotrophique) et retranscrites sur un écran. Un « miracle » rendu possible grâce à lamobilisation de trois personnes en particulier, le Pr Claude Desnuelle (responsable du Centre de référence pour lesmaladiesneuromusculaires et la SLA), Violaine Guy, ergothérapeute, chef de projet, et MaureenClerc, chercheur à l’Inria (Sophia Antipolis). Pour comprendre l’importance des recherches conduites, il est nécessairedeplongerdans lesméandres de cette maladie neurodégénérative évolutive, connue aussi sous le nom de maladie de Charcot, et caractérisée par une dégénérescence des neurones moteurs. « Àmesure que les déficits s’installent, le malade est progressivement privé de toute capacité motrice ainsi que de toute possibilité de communication orale et écrite développant un état proche du Locked In Syndrome (LIS) » , décrit le Pr ClaudeDesnuelle.
Agir par la pensée
Pour pallier ce déficit decommunication, une solution: les techniques d’interfaces cerveau ordinateur, puisqu’elles ne nécessitent aucune commande motrice. Et c’est danscedomaine que les équipes azuréennes ont effectué un grand pas en avant. Tout commence par une observation. « Un jour, jeme suis retrouvée faceàune patiente trachéotomisée dont les muscles faciaux ne se contractaient plus. Les différents moyens de communication à disposition, nécessitant l’utilisationd’un contacteur musculaire et donc d’une capacité motrice résiduelle, étaient inadaptés pour elle; on se retrouvait dans l’impasse. Elle avait perdu toutecapacité de communication autonome. L’autonomie étant une valeur essentielle pour une ergothérapeute, je ne pouvais m’astreindreàaccepter cela » , relate Violaine Guy. Pour aider cette patiente, l’ergothérapeute a alors l’idée de se tourner vers des chercheurs de l’Inria, « sachant qu’ils ont développé un logiciel unique au monde (OpenViBE) qui permet d’agir “par la pensée ”. » Mais testé uniquement sur des sujets « sains ». La suite? Passeràdes essaisconcretsavec des personnes touchées pardes déficiencesneuromusculaires très sévères. « Les résultats de l’expérimentation réalisée par l’équipe du Centre SLA du CHU (lire encadré) sur une vingtaine de patients SLA ont été excellents. » Seuls bémols: la lourdeur de l’équipement, des électrodes très difficiles àmettre en place à domicile. « En cherchant, on a trouvé un casque sans fil, commercialisé aux ÉtatsUnis permettant de pallier ces obstacles. Mais faute de norme CE, il était impossiblede l’utiliser enclinique. » C’est pendant cette période que l’équipe du CHU de Nice reçoit un courriel d’un certain Damien Perrier. Ce jeune physicien est atteint de la maladie de Charcot et ne peut pluscommuniquer par laparole. Il a entendu parler des recherches niçoises et manifeste le souhait de « collaborer ». « Originaire de la même région que lui, j’ai promis à Adrien de lui rendre visite à Chambéry lors de mes prochaines vacances en famille » . C’est ce qu’elle fait en août dernier. Damien a importé des États-Unis le casque qui intéressait Violaine et s’est équipé du logiciel développé par l’Inria. « Lorsque je lui ai rendu visite, nous l’avons testé. Ça ne marchait pas. Alors, on a pensé le mettre à l’envers, car les électrodes n’étaient pas positionnées sur les bonnes zones du crâne. Et, là, çaaparfaitement fonctionné! » Aujourd’hui, les équipes sont à la recherche de financements pour développer l’interface, la rendre plus accessible, et au plus grand nombre Plusieurs milliers d’euros pour lever une insupportable condamnation au plus profond des silences. 1. Rens. desnuelle.c@chu-nice.fr 04.92.03.84.14. ou 06.58.68.17.48.