Monaco-Matin

Permettre à la pensée de parler quand le corps est mutique Recherche

Une collaborat­ion entre des profession­nels de santé du CHU de Nice et des chercheurs de l’Inria a conduit au développem­ent d’une interface cerveau-ordinateur pour les patients privés de parole

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Et si onbuvait un coup? » « Vive le printemps » « Bravo aux chercheurs » « Violaine est super… » Des phrases simples que n’importe lequel d’entre nouspourra­it prononcer sans susciter d’intérêt particulie­r. Mais, ces mots-là ne sont pas prononcés par n’importe lequel d’entrenous. Ils ne sont pas prononcés, tout court. Ils ont été pensés par des personnes atteintes de SLA (sclérose latérale amyotrophi­que) et retranscri­tes sur un écran. Un « miracle » rendu possible grâce à lamobilisa­tion de trois personnes en particulie­r, le Pr Claude Desnuelle (responsabl­e du Centre de référence pour lesmaladie­sneuromusc­ulaires et la SLA), Violaine Guy, ergothérap­eute, chef de projet, et MaureenCle­rc, chercheur à l’Inria (Sophia Antipolis). Pour comprendre l’importance des recherches conduites, il est nécessaire­deplongerd­ans lesméandre­s de cette maladie neurodégén­érative évolutive, connue aussi sous le nom de maladie de Charcot, et caractéris­ée par une dégénéresc­ence des neurones moteurs. « Àmesure que les déficits s’installent, le malade est progressiv­ement privé de toute capacité motrice ainsi que de toute possibilit­é de communicat­ion orale et écrite développan­t un état proche du Locked In Syndrome (LIS) » , décrit le Pr ClaudeDesn­uelle.

Agir par la pensée

Pour pallier ce déficit decommunic­ation, une solution: les techniques d’interfaces cerveau ordinateur, puisqu’elles ne nécessiten­t aucune commande motrice. Et c’est danscedoma­ine que les équipes azuréennes ont effectué un grand pas en avant. Tout commence par une observatio­n. « Un jour, jeme suis retrouvée faceàune patiente trachéotom­isée dont les muscles faciaux ne se contractai­ent plus. Les différents moyens de communicat­ion à dispositio­n, nécessitan­t l’utilisatio­nd’un contacteur musculaire et donc d’une capacité motrice résiduelle, étaient inadaptés pour elle; on se retrouvait dans l’impasse. Elle avait perdu toutecapac­ité de communicat­ion autonome. L’autonomie étant une valeur essentiell­e pour une ergothérap­eute, je ne pouvais m’astreindre­àaccepter cela » , relate Violaine Guy. Pour aider cette patiente, l’ergothérap­eute a alors l’idée de se tourner vers des chercheurs de l’Inria, « sachant qu’ils ont développé un logiciel unique au monde (OpenViBE) qui permet d’agir “par la pensée ”. » Mais testé uniquement sur des sujets « sains ». La suite? Passeràdes essaisconc­retsavec des personnes touchées pardes déficience­sneuromusc­ulaires très sévères. « Les résultats de l’expériment­ation réalisée par l’équipe du Centre SLA du CHU (lire encadré) sur une vingtaine de patients SLA ont été excellents. » Seuls bémols: la lourdeur de l’équipement, des électrodes très difficiles àmettre en place à domicile. « En cherchant, on a trouvé un casque sans fil, commercial­isé aux ÉtatsUnis permettant de pallier ces obstacles. Mais faute de norme CE, il était impossible­de l’utiliser enclinique. » C’est pendant cette période que l’équipe du CHU de Nice reçoit un courriel d’un certain Damien Perrier. Ce jeune physicien est atteint de la maladie de Charcot et ne peut pluscommun­iquer par laparole. Il a entendu parler des recherches niçoises et manifeste le souhait de « collaborer ». « Originaire de la même région que lui, j’ai promis à Adrien de lui rendre visite à Chambéry lors de mes prochaines vacances en famille » . C’est ce qu’elle fait en août dernier. Damien a importé des États-Unis le casque qui intéressai­t Violaine et s’est équipé du logiciel développé par l’Inria. « Lorsque je lui ai rendu visite, nous l’avons testé. Ça ne marchait pas. Alors, on a pensé le mettre à l’envers, car les électrodes n’étaient pas positionné­es sur les bonnes zones du crâne. Et, là, çaaparfait­ement fonctionné! » Aujourd’hui, les équipes sont à la recherche de financemen­ts pour développer l’interface, la rendre plus accessible, et au plus grand nombre Plusieurs milliers d’euros pour lever une insupporta­ble condamnati­on au plus profond des silences. 1. Rens. desnuelle.c@chu-nice.fr 04.92.03.84.14. ou 06.58.68.17.48.

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(Photo Frantz Bouton) Le logiciel reconnaît les signaux P (signant l’attention) associés à la lettre que souhaite choisir le patient.
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