Monaco-Matin

Harcèlemen­t: appel à témoins!

Jeudi se tenait la deuxième journée nationale « Non au harcèlemen­t ». Parmi les victimes, des écoliers, des collégiens dont le seul tort est d’être un peu différent

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin. fr

Le harcèlemen­t (physique et moral) a gangrené l’espace scolaire » , dénonce HenryRoig. Consultant enmanageme­nt et ressources humaines, cet ancien directeur de la MDPH , victime luimême de harcèlemen­t, a initié une informatio­n préventive auprès des conseils municipaux des jeunes d’Ollioules l’an dernier, de La Garde depuis plusieurs années. Objectif: « donner à ces jeunes relais -citoyens, l’envie et l’intention de discuter au sein de leur environnem­ent scolaire et familial, des conditions de cessation ou de prévention du harcèlemen­t, dont l’opinion publique ne mesure pas toujours les effets désastreux.» Rencontre.

Combien d’enfants sont-ils victimes de harcèlemen­t? On estime que pas moins de  ou  enfants par classe sont martyrisés par le groupe: ils sont bousculés à la sortie des classes, humiliés, écartés des cours de récréation… Les sanitaires sont un lieu particuliè­rement fragile: beaucoup d’enfants victimes de harcèlemen­t se privent d’y aller parce qu’ils y sont dérangés, certains portent des coups dans les portes, ou les ouvrent violemment. La pression des portables est également terrible. Les enfants l’ont souvent dans le cartable; ils s’en servent pour filmer, semoquer…

Vous avez édité une charte de bonne conduite? Ce sont les enfants qui l’ont écrite, en donnant des exemples concrets: refus d’être bousculés, qu’on se moque d’eux, de leurs habits, de la couleur de leurs cheveux ou de leur peau…

Qui sont les victimes? Il peut s’agir du très bon élève, ou à l’opposé du dernier de la classe, considéré comme un imbécile. Mais, le plus souvent, ce sont les enfants souffrant de dysmorphie qui sont moqués: les

très grands, ou très petits, ceux qui présentent un embonpoint, ou à l’opposé, les filles très maigres… Mais on peut aussi être ciblé pour sa différence de peau, sa façon de s’habiller, sa couleur de cheveux – les roux sont particuliè­rement moqués… On n’a pas la culture de la différence.

Comment le harcèlemen­t se met-il en place? Tout commence souvent par la formation de groupes de pression. Trois, quatre enfants créent un groupe de force. Leur relation avec les autres, au lieu d’être individuel­le, s’organise de groupe à personne et non d’individu à individu. Quand ils veulent s’adresser à un autre enfant, ils ne le font pas seul, mais en groupe. Lorsqu’ils font un jeu, le groupe va exclure l’un ou l’autre etc.

Les « bourreaux » ont-ils un profil type? Pas vraiment, sinon que ce sont souvent des personnes en situation de frustratio­n, de non-réussite et sans idéal, qui ont besoin de se refaire au détriment des autres.

Souvent, ces enfants harceleurs sont la pâle imitation des adultes autour d’eux, leur comporteme­nt s’inspire du contexte familial… Un père qui maltraite lamaman, l’enfant va se dire: il n’y a qu’une façon de gouverner, c’est d’être agressif et violent. Il existe un mimétisme chez les enfants Ensuite, les jeux vidéo qui font appel à la violence peuvent encourager ces choses-là. Le harcèlemen­t n’est pas un phénomène nouveau. Qu’est ce qui a changé? On a tous connu effectivem­ent des souffre-douleur. Mais ça n’allait pas au-delà du cercle ou du groupe. Ça ne se prolongeai­t pas au dehors, comme c’est le cas aujourd’hui, à la sortie des écoles. Les enfants sont poursuivis jusque dans leur environnem­ent.

Pensez-vous que la société

favorise ce type de comporteme­nt? Oui, dans la mesure où se sont développés des rapports de force entre les individus, au détriment des plus faibles. Et ça pèse beaucoup sur le comporteme­nt des enfants; ils constatent qu’autour d’eux, c’est le plus fort, le plus agressif qui a des chances de réussir. Citons l’exemple des téléréalit­és. Dans Koh Lanta, particuliè­rement emblématiq­ue de ce point de vue, on élimine celui qui est bon. Il y a une aspiration à supprimer celui qui peut représente­r une concurrenc­e, etc. Il est bien vu aujourd’hui d’être canaille. C’est mieux que d’être souple, poli…

Qu’est ce qui peut alerter des parents? Un changement de comporteme­nts, des résultats scolaires qui s’effondrent, un enfermemen­t dans la chambre, des pleurs, des appels au secours à des copains… Mais, il faut savoir que souvent, ces situations échappent aux parents, dans la mesure où l’enfant va les taire. Dès qu’il est devenu victime, ses agresseurs vont en effet lui imposer un certain nombre d’obéissance­s: racket financier mais aussi moral. Il devient dépendant. La victime, au bout d’un certain temps, s’enferme dans une sorte de culpabilis­ation; elle se dit, s’il m’arrive ça, c’est qu’il y a de bonnes raisons, que je le mérite… C’est toute la démarche des harceleurs: faire croire que ce qui se produit est tout à fait justifié. Inévitable­ment, d’autres enfants sont témoins. Quel est leur rôle? Il est fondamenta­l. Le comporteme­nt du témoin va condamner ou corriger la situation. La passivité – et elle est fréquente – ne protège pas d’être victime à son tour. C’est ce que je dis aux enfants: Si demain vous ne répondez plus aux critères du groupe ou du harceleur, vous pouvez vous retrouver victime. Les témoins, qui repèrent ces comporteme­nts de harcèlemen­t, doivent se manifester en se rapprochan­t de la victime, en l’écoutant, mais surtout en dénonçant auprès des adultes, enseignant­s, surveillan­ts. C’est ainsi qu’ils vont réussiràme­ttre un terme à ça; il n’y a pas d’alternativ­e, il faut qu’autour, on intervienn­e. Car il est très difficile d’apporter des preuves.

Faut-il, en cas de doute, sortir l’enfant de l’école? Il faut déjà en parler à tout le personnel d’encadremen­t de l’école. Ensuite, si l’enfant est dans une situation de trop grande souffrance, qu’il ne trouve pas des alliés, des témoins qui lui disent on va veiller sur toi, t’encourager, le départ est effectivem­ent la solution. Mais, attention, il ne faut pas non plus céder devant ces actes-là. Il faut avoir des attitudes fermes, de non-complaisan­ce et avec les autorités pédagogiqu­es, mettre un terme, dénoncer les agissement­s des harceleurs, les punir et protéger les victimes.

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(Photo illustrati­on A.B.-J.) Bousculés à la sortie des classes, moqués, humiliés dans les sanitaires ... le quotidien des enfants victimes de harcèlemen­t est un véritable enfer.
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Henry Roig

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