: Antibes et sa « souriante philosophie »
emaine après semaine, nous suivons dans cette page l’actualité de jadis au travers de l’Illustration. Comme tous les journaux, il arrivait à l’Illustration d’éditer des « numéros spéciaux ». Celui du 5 octobre 1929 portait une nouvelle fois sur l’ « Automobile et le tourisme » . L’automobile, ici, est une affaire de luxe! Les aristocrates et les élégantes paradent sur la Côte d’Azur ou circulent à travers la France dans leurs beaux véhicules depuis le début du XXe siècle. Ils s’adonnent même à des courses automobiles, dont l’une des premières a été celle de la Turbie dans les Alpes-Maritimes. Bien sûr, la tragique coupure de la Première Guerre mondiale a tout arrêté. Mais les années folles sont revenues. Et les gens chic ont repris le volant pour traverser la France, se rendre dans les palaces, gravir les routes de montagne ou s’adonner à un tourisme élégant. Dans ce numéro de l’Illustration, plusieurs destinations sont commentées et conseillées : la route de la Bérarde dans les Alpes, le Parmelan en Haute-Savoie, l’Alsace, le Morvan, Dieppe, Fougères en Bretagne, et... Antibes. C’est à Antibes, bien sûr, que nous nous dirigerons, en compagnie du journaliste Émile Ripert.
Le félibre à Nice et Toulon
Voilà comment il commence son article : « Antibes... Antipolis, la ville qui est en face... En face de Nice, la ville de la Victoire , cette Nice qui, depuis deux mille cinq cents ans, chante ici tous les matins le triomphe du jour sur la nuit, les prestiges de la lumière et de la joie... Vivre en face d’une telle ville, c’est une destinée à la fois glorieuse et mélancolique, la sensation d’être un reflet et tout aussi bien un poste d’observation. » Tel est Antibes, selon Ripert : la ville qui observe et la ville qui est. « Ainsi placée dans une sorte de loge confortable pour un spectacle qui ne finit jamais, écrit-il, Antibes enseigne une souriante philosophie. Depuis des siècles, elle contemple, elle observe, elle guette aussi et, sentinelle vigilante, elle sait résister au besoin, comme l’enseigne son Fort Carré et ce qu’on a bien voulu lui laisser de murailles. » Émile Ripert n’est pas n’importe quel journaliste. C’est un écrivain connu dans notre région, né à la Ciotat, qui passa les premières années de sa vie à Draguignan, qui rencontra Frédéric Mistral, devint félibre et membre de la chaire de littérature provençale au Centre universitaire méditerranéen à Nice, enseigna au lycée de Toulon à partir de 1907. Une avenue porte son nom à Nice.
La ville des écrivains
Il n’est pas étonnant que cet érudit s’intéresse aux écrivains à Antibes. Paul Arène, par exemple, dont il rapporte ce point de vue : « Antibes, une ville charmante, qui ne rougit pas d’être petite, et qui a partout quelque chose d’aimable et d’intime » ; Maupassant qui, arrivé à Antibes à bord du Bel-Ami, s’écrit : « Je suis en sève... Le printemps ici remue toute ma nature de plante et me fait produire ces fruits littéraires qui éclosent en moi je ne sais comment... » Tel est l’Antibes de Ripert, habité de souvenirs historiques et d’écrivains. « Ici toute une littérature enroule ses prestiges autour des vieilles tours dorées d’Antibes, de son Fort Carré, des mâts dansants de ses tartanes et de ses barques. A parcourir ses ruelles, à flâner sur ses quais, à longer ses vieux remparts, à regarder sa porte de France qu’orna Jean Dolle (N.D.L.R. : sculpteur antibois du XVIIIe, dont le vrai prénom était Jacques, et dont un lycée d’Antibes porte le nom), la porte de l’église où il a sculpté saint Sébastien et saint Roch, à causer avec les pêcheurs et les jardiniers, on voit peu à peu se dessiner sous ses yeux toute la destinée de cette petite ville, d’abord pacifique contemplatrice, devenue guerrière par nécessité et redevenue, par la réunion du comté de Nice à la France, un séjour de gens paisibles qui ont gardé de la Grèce l’art de savoir savourer leurs loisirs. » Ces loisirs, quels sont-ils ? Selon Ripert « On peut les employer au mieux : soit qu’en allant vers Nice on visite Cagnes et son vieux château Grimaldi sur son pittoresque coteau, soit qu’on aille voir fabriquer des jarres à Biot, ou des poteries plus maniables à Vallauris, soit qu’on monte à la chapelle de la Garoupe où sont toutes sortes de charmants ex voto - pour y voir un des plus beaux développements de côtes méditerranéennes qui soient, de Saint-Tropez à Bordighera, avec comme fond de décor la barre rougeâtre de l’Estérel ou le couronnement bleu et blanc des Alpes. » Et voilà comment l’automobiliste érudit vient visiter Antibes et ses environs.