Malaise dans ladémocratie
Ouf, c’est fini. Plus que quelques heures de suspense et d’angoisse avant que soit connu le nom du e président des Etats-Unis. Quelle qu’en soit l’issue, cette campagne, sans doute la plus violente et la plus sale de l’histoire politique américaine, au point de susciter le « dégout » de huit électeurs sur dix, restera une page noire du roman national. Une tache sur le drapeau étoilé. L’Amérique, qui se pense et se vit comme le phare et le modèle du « monde libre », « l’étalon- or de la démocratie », n’échappera pas à des remises en question. What went wrong ? Qu’est-ce qui amal tourné ? Qu’un bateleur comme Trump, qui a fait du mensonge et de l’insulte des armes de séduction massive, soit arrivé aux portes de la Maison-Blan-che, après avoir balayé en chemin les caciques du Parti Républicain, cela en dit long sur les maux qui rongent le système politique américain. Mais nous autres Français et européens, qui avons assisté de loin à ce combat de catchdans la boue, aurions bien tort de ne voir là qu’un événement exotique, une de ces bizarreries auxquels les Américains nous ont habitués, comme les concours de hamburgers ou les limousines de mètres de long. De quoi l’extravagant M. Trump est-il le nom ? Pas seulement des ratés de la démocratie américaine, mais aussi d’une crise de la représentation politique qui affecte l’ensemble du monde démocratique. Si celle-ci prend en effet des formes très différentes d’un pays à l’autre, selon les configurations politiques nationales, c’est bien le même phénomène qui est à l’oeuvre de Londres à Vienne, de Paris à Berlin, Rome ou Bu- dapest. Partout, l’arasement des frontières, le triomphe de la mondialisation, l’ampleur des mouvementsmigratoires, la menace du terrorisme international nourrissent le désir d’un retour à la nation, la nostalgie d’un monde préservé qui n’a en réalité jamais existé, le repli identitaire, la peur de l’invasion. Partout se renforce la suspicion envers les partis politiques, tenus pour corrompus ou impuissants à protéger leurs peuples contre les malheurs du monde. Partout progresse le désenchantement démocratique, le sentiment, particulièrement vif en France, que la démocratie fonctionne mal, que les aspirations des citoyens ne sont pas prises en compte, que les élections ne changent rien. Avec cette conséquence que le clivage gauche/droite qui organisait la vie politique tend à s’estomper au profit d’un clivage système/anti-système. Oupartis institutionnels versus partis des gens « d’enbas ». Qu’un milliardaire arrogant et cynique qui se vante de ne pas payer d’impôt ait pu se poser en héraut des cols bleus, des petits blancs et de tous les laissés pour compte de la mondialisation, l’usurpation laisse pantois. C’est le genre d’étrangetés que peut produire lamythologie du « rêve américain ». Mais pour le reste, son projet, cocktail de souverainisme, de rhétorique anti-immigrés et de protectionnisme économique, nous est familier : ce sont les ingrédients de base de tous les populismes européens. Et ses vitupérations contre l’establishment – Washington, Wall Street, la presse, etc. –, l’écho d’un ressentiment anti-« élites » qui a cours chez nous aussi, et qui ne se cantonne d’ailleurs pas à l’extrêmedroite. Une campagne s’achève. Une autre commence : la nôtre. Elles pourraient bien avoir comme un air de famille.
« Une campagne s’achève. Une autre commence : la nôtre. Elles pourraient bien avoir comme un air de famille.