Le paradoxe américain
Donald Trump c’est un peu « Moi, moche et méchant ». L’anti-héros par excellence qui voulait s’emparer de la Maison Blanche. Un ego sur pattes de 70 ans, coifféd’une « queue d’écureuil » (1) qui passe son tempsàdébiter des insanités. Sur ses concurrents à laprésidence des EtatsUnis - passe encore - mais aussi sur les femmes ou les « hispanos ». L’anti-président de la première puissance mondialen’était, jusqu’à aujourd’hui du moins, qu’une caricature de lui-même… Dont il a d’ailleurs largement contribué à brosser le portrait grossier en passant sa pensée politique au Pisto
réducteur de son compte Twitter. Son outil de communication préféré face aux médias « mains
tream » (dominants) qui n’ont eu de cessed’annoncer son « inévita
ble » défaite. À tort. Donald Trump est désormais ausommet de ce « système » qu’il a tant critiqué durant la campagne. Mais « le Donald » n’est pasàunparadoxeprès tant la personnalité de ce milliardaire, animateur de la téléréalité devenu le 45e président américain, est complexe. Si l’on devait, comme lui, résumer le phénomène Trump en 140 signes, on dirait qu’il est à la fois tout et son contraire!
Le « self-made-man » qui n’en était pas un
Le paradoxe Trump semble se forger dès l’enfance. Plutôt bon élève, le petitDonaldvapourtant donner ses initiales au piquet depunition tant il y passe de temps. Las de renouveler le stock de gommes que ce fils, déjà récalcitrant à l’autorité établie, s’emploie à lancer sur ses professeurs, son père, Fred Trump, finit par l’inscrire à l’académie militaire de New York. Et contre toute attente, Donald, qui n’a alors que 13 ans, s’y épanouit. « Mais tout de même pas au point de partir pour le Vietnam » , note Anne Toulouse( 2) qui a été la correspondante de RFI en Amérique, puisqu’il « s’est fait réformer, tout comme Bill Clinton ».
Est-ce la raison pour laquelle le candidat républicain a accordé tant d’importance dans sa campagne aux vétérans de l’armée que le pays « traite si mal » ? À moins que ça ne soit par opportunisme politique ? Donald Trump aura su mieux que personne jouer sur la corde sensible de l’électorat moyen américain. Les vétérans, mais aussi les cols bleus (les ouvriers) et les « small business ow
ners » (les petits entrepreneurs) qui lui ont donné une majorité. Il n’appartient pourtantàaucune de ces catégories sociales. Les ouvriers, il les a surtout côtoyés sur les chantiers de son père. Bien avant Donald, Fred Trump a déjà bâti une petite fortune familiale dans l’immobilier. Et, contrairement à ce que prétend ce fameux « rêve américain » que le futur candidat à la Maison Blanche a promis de ressusciter, ce n’est pas avec un dollar en poche qu’il se lance dans les affaires du haut de ses 22 ans… Mais bien un millionprêtépar papa. Ce qui n’enlève rien à son sens des affaires: pour son premier coup, le jeune Trump réussit à faire fructifier l’investissement familial de 4500% ! Il vient de construire son premier immeuble.
Il a fait de Trump une marque
Le premierd’une longue série, tous plus haut, plus luxueux, tous ou presque affublés du même nom: Trump Tower, Trump Plaza, Trump TajMahal… Àdéfaut d’être un « self-made-man » l’hommed’affaires s’est employé à faire de son patronyme une marque. Et pour cela tous les moyens sont bons. Donald Trump est obsédé par sa propre publicité. Qu’importe qu’elle soit bonne ou mauvaise. L’important c’est qu’on parle de lui. Il ne s’en cache pas et explicite même ses recettes marketing dans un livre, « The art of the deal », dès 1987. Le milliardaire n’hésite pas à s’afficher dans les tabloids, voire au grand écran. Il fait une apparition dans « Maman, j’ai encore raté l’avion » et quelques séries comme « Le prince de Bel-Air ». En 2004, il devient même l’anima- teur vedette d’une émission de téléréalité, « The Apprentice », dans laquelle il joue son propre rôle de patron. Le principe: faire passer des entretiens d’embauche aux candidats. Le gimmick de l’émission, « you are fired » (vous êtes viré), est devenu culte. Donald Trump n’a arrêté sa participation qu’en 2015, à l’annonce de sa candidature à la présidentielle. Douze saisons durant, celui qui prétend aujourd’hui redonner du travail auxAméricains, a passé son temps à « virer » des gens à la télé. Qu’importe, lui qui s’était déjà fait un nomdans les affaires, s’est fait un prénom auprès du grand public: il est de la télévision. Le plus populaire des produits de la marque Trump, c’est désormais lui-même. Et ça fait unmoment qu’il envisage d’ailleurs de se mettre sur le marché… électoral. « leDonald »
Autant républicain que démocrate
Dès 1988, il caresse l’idée de se présenter aux primaires républicaines. Une décennie plus tard, ce sont celles du parti démocrate qu’il brigue. Avant de revenir vers sa première famille, le milliardaire a d’ailleurs financé la campagne sénatoriale d’une certaine Hillary Clinton. Un paradoxedeplus pour cet animal politique qui ne recule devant aucune contradiction. Ses récents propos sexistes ont choqué. Ses trois mariages et surtout ses retentissants divorces ont contribué à forger l’image d’un misogyne qui apprécie les femmes surtout pour leur plastique. D’Ivana Trump sa première épouse à la discrète Melania, une ex top-modèle slovène. Et pourtant, Anne Toulouse révèle que la plupart des postes à responsabilité de ses entreprises sont trustés par des femmes choisies pour des qualités qui n’ont rien d’esthétiques. Ses déclarations fracassantes sur les immigrés lui ont également valu l’étiquette de raciste, voire d’antisémite. Et pourtant Donald Trump est lui-même d’origine irlandaise par sa mère et allemande par son père. Quantàsa fille chérie, Ivanka, qui dirige avec ses frères l’empire Trump, elle s’est convertie au judaïsme. Le Donald de tous les paradoxes a même un temps annoncé qu’il allait légaliser les drogues pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants. Lui qui abhorre toute forme d’addiction et a promis de ne jamais boire une goutte d’alcool enmémoirede son frère, Fred, mort des suites de son alcoolisme. Il est clair que Donald Trump ne peut se résumer à ce qu’il dit. Même si ses déclarations de campagne l’engagent désormais. Tant vis-à-vis des électeurs américains qui lui ont fait confiance, que du reste du monde… qui en accorde si peu à cet anti-héros. Reste à savoir s’il réussira, par ses actes cette fois, l’ultime paradoxe de devenir un bon président. 1- Les cheveux teints de Donald Trump ont suscité bien des commentaires durant la campagne. L’un de ses concurrents à la primaire Boby Jindal les avait comparésà «une queue d’écureuil assis sur sa tête». 2- Anne Toulouse, auteur du livre Dans la tête de DonaldTrump, paru chez Stock (17,50 €).