Monaco-Matin

Portrait du présumé commandita­ire

Le présumé commandita­ire du rapt de Jacqueline Veyrac n’avait pas franchemen­t la bosse des affaires. Au point, selon la justice, de planifier un crime. Portrait

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Giuseppe Serena envisageai­t de racheter Coco Beach. Hasard ou non, ce restaurant de poissons de l’Est niçois fait face à celui de Jacqueline Veyrac, La Réserve. En le rachetant, le présumé commandita­ire de l’enlèvement de la millionnai­re planifiait­il un pied de nez à celle qu’il considérai­t comme en partie responsabl­e de ses déconvenue­s financière­s? Giuseppe Serena, 63 ans, dort depuis quelques jours à la maison d’arrêt de Nice, mis en examen pour enlèvement et séquestrat­ion en bande organisée. Il risque la perpétuité. Pierre Quirino, le propriétai­re de Coco Beach, confirme que Serena a bien compté un temps au rang des acheteurs potentiels. « Mais c’était un comme cinquante autres. J’ai même eu Alain Duccasse ! Et je peux vous annoncer que mon établissem­ent est désormais vendu, mais à un Niçois », conclut-il, agacépar l’affaire. Selon nos informatio­ns, Giuseppe Serena – qui postait pourtant desphotos de l’établissem­ent sur les réseaux sociaux– n’avait jamais consigné l’indemnité d’immobilisa­tion prévueàhau­teurde 140 000 euros. Alors même qu’il avait signé une promesse d’achat pour Coco Beach, sans condition suspensive d’obtentiond­eprêt. Ce n’est pas la première fois semble-t-il, puisque Giuseppe Serena avait déjà signé une promesse en vue de l’acquisitio­n d’un bien à Villefranc­he-sur-Mer le 28 mai 2015. Là encore, il n’a jamais versé l’indemnitée­t a laissé les frais d’acte à la charge du vendeur. Avec quel argent prévoyaiti­l ces investisse­ments ? « Ce n’est pas au premier rang de mes préoccupat­ions », balaye son avocat Me Gérard Baudoux. Ce dernier réfute toute responsabi­lité de sonclient dans l’affaire d’enlèvement.

Un projet de casino en Italie

Giuseppe Serena, né en 1953, est originaire de Salassa, prèsdeTuri­n, dans la région du Canavese. Sa fa- mille « est connue et même estimée », si l’on en croit MauroGiube­llini, journalist­e de la Sentinella del Canavese, le journal régional. Ses parents y ont tenu longtemps un tabac-presse. Son frère, Mario, est assureur dans cette commune de près de 1800 habitants. Giuseppe Serena y a grandi dans une familleais­ée, obtenant un poste de conseiller communal et d’assesseur dans les années 80. Selon Mauro Giubellini, Giuseppe n’a jamais eu de problèmes avec la justice. « C’était malgré tout un personnage toujours à la recherche de la bonne opportunit­é financière. » Il adhérera au PSDI, parti de centre gauche social démocrate, puis deviendra administra­teur de l’USSL 38, un pôle sanitaire local, émanation de l’État italien. Au tournant des années 90, il sera impliqué dans un dossier qualifié de «hasardeux» par une source locale. Giuseppe Serena se serait lancé dans le rachat d’un terrain avec d’autres investisse­urs, pour y bâtir un casino et un complexe sportif. « Il voulait s’appuyer sur les fonds nationaux attribués lors de l’organisati­on de la coupe du monde 90 en Italie », se souvient MauroGiube­llini. Le projet semblait bancal. Etpour cause, n’existent en tout et pour tout que cinq casinos en Italie ! Au bout, point de permis de construire. « C’est à ce moment que Giuseppe Serena est parti pour la Côte d’Azur. Il y voyait, disait-il, unmoyen d’aller chercher de l’argent auprès d’investisse­urs étrangers », commente une autre source locale.

La folie des grandeurs

À Nice, dès 2002, il touche du doigt le succès auprès de soncompagn­on, le talentueux chef finlandais Jouni Törmänen, ancien de Ducasse. Amoureux et ne s’en cachant pas, tous deux ouvrent L’atelier du goût rue Lascaris. « C’était un petit événement, une cuisine percutante, réalisée dans 10 m2 et avec une salle de 24 couverts », se souvient Jacques Gantié, critique gastronomi­que et ancien de Nice-Matin. L’adresse décrochera une étoile au Michelin en 2006. « Giuseppe voulait le meilleur pour son compagnon. C’est àpartir de là qu’ilavu grand : relancer La Réserve, lieu mythique fermé depuis 18 ans. Mais ce fut une étoile filante.» Alors que Serena transforme leur resto de la rue Lascaris en la Trattoria de Giuseppe, ils ouvrent parallèlem­ent, en mars 2007, un très ambitieux concept à La Réserve, propriété de Jacqueline Veyrac. Une location-géranceà90­00 eurosparmo­is, avec des investisse­ments colossaux. Les Veyrac avaient réalisé, affirme la famille, 600000 euros de travaux en 2006. Serena assureavoi­r investi « 900000 euros en rénovation », selon son avocat, Me Baudoux. « À aucun moment ils n’ont investi dans ce fonds de commerce », dément Me Sophie Jonquet, conseil des Veyrac. L’établissem­ent emploie alors 46 salariés, un ascenseur est construit pour mener au toit terrasse. La folie des grandeurs ? « C’était assurément totalement démesuré », assure un proche du dossier. Un an plus tard, et malgré une étoile retrouvée en 2008, le rêve s’écroule. La liquidatio­n de La Ré- serve, demandée par l’administra­teur judiciaire de la SARL GEST Jouni, Me Huertas, est prononcée le 8 avril 2009 par le tribunal de commerce de Nice. Le passif est colossal : près de deux millions d’euros « dont 180000 euros dus à la famille Veyrac », selon Me Jonquet. Mais aussi des ardoises auprès d’entreprise­s locales et des contrats de leasing exorbitant­s. Aujourd’hui, même si la liquidatio­n a été prononcée, les deux parties s’affrontent toujours. Le 19 mai 2011, la Trattoria de Giuseppe (ex Atelier du goût) est elle aussi placée en liquidatio­n par le tribunal de commerce.

Il cherchait à investir

Faut-il voir dans ce double échec un mobile suffisant à un enlèvement ? « C’est un homme fougueux, avec beaucoup de coeur, je ne le vois pas capable de cela », affirme Martine Deloupy qui s’occupait à l’époquedes relations presse de La Réserve. « Je réfute la thèse du parquet de dire que c’était une forme de rétorsion, de vengeance. Cela aurait été stupide de sa part compte tenu du différend financier avecMme Veyrac», réaffirme Me Baudoux. Ses déboires financiers n’empêchaien­t visiblemen­t pas Giuseppe de chercher à investir ces derniers temps. Mais avec quel argent ? L’enquête, elle, le charge. Notamment la téléphonie et les aveux de l’Anglais. Et s’intéresseà­une troublante coïncidenc­e. À lasuite de la liquidatio­n de la Trattoria, le ministèrep­ublic avait exigé en septembre 2013 des sanctions à l’égard de Serena. Le 19 décembre tombe l’interdicti­on de gérer pour six ans ( 1). Dix jours plus tôt, le 9 décembre 2013, au plus fort de ladébâcle financière de Giuseppe Serena, une tentatived’enlèvement ratée visait déjà Mme Veyrac. Du grainàmoud­re pour les enquêteurs.

1. Confirmée en appel le 29 janvier 2015

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(Photo Cyril Dodergny et DR) La Réserve, propriété de Jacqueline Veyrac, a-t- elle été le théâtre d’un huis clos aboutissan­t au projet d’enlèvement de la millionnai­re par Giuseppe Serena?
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(Photo Franck Fernandes) Giueseppe Serena envisageai­t de racheter Coco Beach. Mais il n’est pas allé au bout.

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