Monaco-Matin

« Les lumières qui brillent sur l’Europe peuvent s’éteindre »

Pour l’historien Jean-Yves Le Naour, le 11-Novembre est un jour de souvenir, de recueillem­ent, jamais un jour de triomphe. Une fête où l’on doit aussi réfléchir aux leçons de l’histoire

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES

Le 11 novembre 1918 met un termeà quatre ans d’horreur et signe la fin de la Première Guerre mondiale. Spécialist­e de cette période, l’historien JeanYves Le Naour évoque, en ce jour anniversai­rede l’armistice, ce qu’il se passait il y a un siècle.

Où en est-on du conflit en cette fin  ? Fin , on est dans une situation des plus dramatique­s, des deux côtés du front. On a l’impression que l’Allemagne domine, que les alliés sont en échec. En réalité, des deux côtés on est épuisé.

Que se passe-t-il sur le front ouest? Les Allemands, qui ont attaqué à Verdun en février, ont été tenus en échec, les Français et l’Empire britanniqu­e ont attaqué sur la Somme le  juillet mais la bataille s’arrête en novembre  sans avoir réussi à percer les lignes ennemies. Ils ont certes gagné  -  km sur la Somme, mais est- ce que ça vaut    pertes,    vies? Non évidemment. On est dans une situation où on n’a plus de perspectiv­e, parce que jusque-là, on promettait la victoire dans trois mois, six mois… Les soldats l’expriment dans leurs lettres, on commence à voir poindre leur découragem­ent, à lire l’annonce des mutineries de .

Et à l’est? Sur le front oriental, l’Allemagne amarqué des points en . Elle a battu la Russie qui avait attaqué les Austro-Hongrois. Et puis il y a aussi la Roumanie, poussée par les Alliés à entrer en guerre. Mais les Austro-Hongrois ont encore appelé l’Allemagne à la rescousse et la Roumanie, prise en tenaille par les Bulgares, est rayée de la carte de la guerre entre août et décembre . Les Balkans sont contrôlés par l’Allemagne.

Quel camp va prendre le dessus? L’Allemagne semble en position de force. En réalité, elle ne l’est pas. C’est un pays soumis au blocus. On n’a plus de pétrole, plus d’huile, même pas assez de blé pour faire du pain, des tickets de rationneme­nt avec un oeuf tous les  jours… La population a faim, continue à tenir mais jusqu’à quand? On a mobilisé tout ce qu’on pouvait : en Autriche-Hongrie, les hommes jusqu’à  ans! Si la guerre dure, l’Allemagne entrevoit sa défaite. Elle fait un calcul en décembre , en proposant la paix.

Pourquoi cela n’a-t-il pas réussi? La réalité, c’est que c’est un piège car la paix, elle n’en veut pas vraiment. Elle n’est pas prête à céder quoi que ce soit. Elle ne veut pas donner l’Alsace-Lorraine à la France, donc il est hors de question que la France dise oui. Elle ne veut pas restituer la Belgique dans son intégrité, donc l’Angleterre ne peut accepter. C’est une fausse propositio­n dans le but de diviser les Alliés, de les pousser à baisser la garde. Guillaume II peut alors dire à l’opinion allemande : « Nous avons proposé la paix, les Alliés ont refusé, ils veulent notre destructio­n. Il faut se battre encore, la fin de la guerre ne pouvant être qu’une victoire. »

Et le conflit continue… Chacun fait ses plans pour l’emporter. Joffre est limogémidé­cembre , remplacé par Nivelle. Celui- ci promet aux politiques la victoire en quarante-huit heures. Son plan: mener une attaque violente là où l’ennemi ne s’y attend pas avec un rouleau de feu, un mur d’acier pour précéder les soldats. C’est la bataille du chemin des Dames qu’on prépare. Mais on la prépare tellement qu’elle prend du retard. Cela ne passe pas inaperçu aux yeux des Allemands. Il n’y aura pas d’effet de surprise. L’attaque a lieu le  avril . Deux heures après, c’est déjà un échec. Nivelle va s’entêter. Il y aura   pertes en trois jours.

Quel est l’impact sur le moral des troupes? En , les soldats n’ont plus de perspectiv­e. C’est la colère. Il va y avoir des mutineries. Le  mai, Nivelle est remplacé par Pétain, qui décide de ne plus mener d’offensive d’envergure. Il attend pour attaquer d’avoir la supériorit­é matérielle et en hommes quand les Américains seront là… Pas avant . En attendant Pétain brise les mutineries en accordant des permission­s. Pour le soldat, la permission est une petite paix.

Quel a été le sort des soldats En , la rumeur de la lâcheté des méridionau­x a été relancée par l’affaire de la reddition du bois de Malancourt à Verdun. Mais cette rumeur les a aussi « protégés ». Puisqu’on considère que ce sont demauvais soldats, on a eu tendance à les envoyer sur le front d’Orient, dans la région de Salonique, en Macédoine grecque, pour combattre la Bulgarie. Ce front secondaire est moins meurtrier que Verdun ou la Somme. Ils ont été « épargnés ». Leur ennemi c’est lemoustiqu­e,  % des soldats sont devenus paludéens. Le palu, la dysenterie, le choléra ont fait plus demorts que les balles bulgares.

Que représente le -Novembre pour vous? Un jour de souvenir, de recueillem­ent, il n’a jamais été un jour de triomphe. Il y a eu , million de morts français, au moins un dans toutes les familles. Ce jour-là, on pense à tous ces morts, aux souffrance­s de la nation. - est la plus grande épreuve que le pays ait jamais connue. La nation s’est construite dans le sang et par le sacrifice aussi. C’est également un jour où l’on peut se féliciter de la réconcilia­tion francoalle­mande, de la constructi­on européenne qui nous permettent de surmonter le monstre qu’a été le nationalis­me, fauteur de guerres. Hélas ! lemonstre est toujours là. La paix est fragile. Les lumières qui brillent sur l’Europe peuvent s’éteindre, c’est nous qui en déciderons. On peut tout gâcher. Il n’y a pas de fatalité en histoire.

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(Photo Valérie Le Parc) provençaux?

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