Monaco-Matin

«Doper l’économie à court terme n’est pas une solution»

- (DR) PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Essayiste spécialisé dans l’économie, figure d’I-Télé, Nicolas Bouzou a fondé et dirige depuis 2006 àParis la société d’analyse économique et de conseil Asterès. Il a également créé leCercle de Belém, qui regroupe des économiste­s européens libéraux et progressis­tes. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont L’innovation sauvera

le monde paru en septembre (éditions Plon) qui se heurte à une vision « trumpesque » bien différente...

L’Europe et la France en particulie­r doivent- elles craindre l’élection de Trump d’un point de vue économique ?

Oui, puisqu’il prône le protection­nisme et la remise en question de nos accords économique­s. Mais tout cela est compliqué car gravé dans le marbre. Reste à savoir le degré de clownerie du personnage. Même dans son livre-programme assez mal fichu, L’Amérique paralysée, il demeure très vague...

Les conséquenc­es d’un repli sur soi des États-Unis et ce protection­nisme, sont-ils synonymes de récession chez nous ?

Il est certain que l’accès des produits français risque d’être plus difficile sur lemarché américain... Des secteurs comme l’aéronautiq­ue, l’agroalimen­taire, les cosmétique­s ou la pharmacie peuvent en souffrir. Mais il y aura aussi desmesures de rétorsions de l’Europe, de l’Asie, etc. Du coup in fine ce qui est à craindre c’est une contractio­n du commerce mondial et donc une récession. C’est typiquemen­t le scénario des années trente que craignent les observateu­rsmondiaux.

Trump qui veut doubler la croissance est-il réaliste dans un contexte domestique américain qui, ces dernières années, demeure inégal et volatil?

Certes le volontaris­me politique a des limites en matière économique. Mais il est effectivem­ent possible de doper l’économie en favorisant, comme il le veut, une politique des grands travaux et en baissant les impôts, notamment sur les entreprise­s. C’est une politique keynésienn­e qui peut avoir des effets, mais uniquement à court terme. Hélas ! au prix d’un accroissem­ent de la dette publique.

Ne risque-t-on pas une nouvelle fois de voir surgir une économie dopée par les crédits avec en arrière-plan le spectre des « subprimes » ?

Oui sauf que dans le cas présent ce n’est plus du crédit privémais public. Comme je le disais précédemme­nt la puissance publique s’endetterai­t pour générer de la croissance à court terme. Or, comme je l’explique dans mon dernier ouvrage, seule l’innovation et le degré d’ouverture d’un pays participen­t à la croissance sur le long terme. Pas un discours de fermeture.

Peut-on diriger l’Amérique comme l’on dirige unemultina­tionale ?

Pas du tout. Un président n’est pas là pour satisfaire des « clients », c’est-à- dire juste une partie de la population. Un pays ce n’est pas ça. Il faut le tenir par les deux bouts avec de la croissance mais aussi de la cohésion sociale. Penser à tout le monde ! Cela dit on peut avoir été chef d’entreprise et être bon politique. Thierry Breton fut de mon point de vue un très bon ministre de l’Économie [sous Jacques Chirac de  à , ndlr].

Quelles seraient les conséquenc­es d’un désengagem­entmilitai­re – qui selon Trump coûte trop cher – des USA dans le monde ? Ne risque-t-on pas de perdre un allié de poids ?

Absolument. L’histoire géopolitiq­ue des États-Unis a toujours oscillé entre interventi­onnisme et isolationn­isme. Là nous assistons à un retour de balancier isolationn­iste qui avait débuté sous Obama. Cela veut dire qu’à l’avenir l’Europe devra davantage compter sur elle-même, y compris au Moyen-Orient. Et ça, c’est le rôle de la France car dans une Europe post-Brexit, elle est la principale puissance militaire. Le prochain président devra donc revoir le budget de la Défense à la hausse !

Le tableau est-il définitive­ment noir ?

Les deux chocs politiques que sont le Brexit et l’élection de Trump sont aussi une occasion inespérée pour l’Europe de se positionne­r comme le continent de l’ouverture. Nous avons une carte à jouer pour attirer chercheurs, intellectu­els, etc., bref ce que l’on nomme les « classes créatives ». L’autre aspect à craindre de ces deux chocs, c’est l’effet de contagion politique avec d’autres pays qui tombent dans le panneau. Le résultat d’un vote extrême décomplexé qui engendrera­it la montée du nationalis­me...

 ??  ?? Pour l’économiste Nicolas Bouzou, l’élection de Trump est une chance pour la France qui est aussi assortie d’un risque de « contagion »...
Pour l’économiste Nicolas Bouzou, l’élection de Trump est une chance pour la France qui est aussi assortie d’un risque de « contagion »...

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