Le cocktail Trump
Trump président. Le choc est tel, l’événement si imprévu, qu’il faudradu temps aux experts pour décortiquer cequi s’est passé. Mais d’ores et déjà, l’examen des résultats, à tête reposée, dessine des pistes qui vont souvent à rebours des analyses entendues ici et là. Par exemple : il a étépeu relevéque Hillary Clintonaété battue… avec environ voix d’avance. Pas de retard, d’avance! Une étrangeté due au système électoral (l’élection au suffrage indirect, Etat par Etat). C’est la règledu jeu, et cela ne remet pas en cause la légitimitéde la victoirede Trump. Mais pour lemoins, cela relativise certains commentaires péremptoires sur la « volonté du peupleaméricain ». Il n’yapas eu de « vague » Trump. L’effet amplificateur du scrutin majoritaire lui donneune large avanceennombrede grands électeurs. Mais lemilliardaire recueille près de , millionde voix de moins que le pâle Mitt Romney, en , faceàBarack Obama. S’il l’emporte, c’est parce que Hillary Clinton, elle, rassemble millions de voix de moins qu’Obama. Soit % deperte, no- tamment chez les jeunes et les gens de couleur, en dépit du soutien massif de Michelle et de Barack Obama, que ces catégories avaient plébiscités en et . Autrement dit : plutôt que de « triomphe » deTrump, mieux vaudrait parler d’un bide de Clinton. Ces résultats confirment ce qui se dégageait de la campagne : l’électorat américain se trouvait faceàun choix cornélien, obligé d’arbitrer entre deux candidats très majoritairement impopulaires. D’où une envolée des abstentions ( %) et des votes pour les « petits candidats » ( millions de suffrages, contre millions en ). Trump, au total, n’obtient qu’un quart des électeurs inscrits (précisément , %, et Hillary , %). Cela explique peut-êtrequ’il soit apparu si modeste, après laproclamation des résultats. Et si soucieux de rassembler. Ce serad’autant plus nécessaire, et difficile, que sa campagneabeaucoup clivé. Là encore, gareaux clichés. Parce que Trump s’est posé en candidat antisystème, beaucoup ont voulu voir dans sa victoireune revanche des déshérités et des perdants de la mondialisation. Le milliardairenon imposable serait devenu le Robin des bois des déclassés. Il y a là unepart de vérité. Son discours, mêlant protectionnisme et nationalisme, aportédans une Amérique des petites villes et des campagnes, qui se sent abandonnée. Ilaparléaux cols bleus, aux naufragés de la crise. De là, ses suc- cès dans les Etats de larust belt (la ceinture rouillée), durement touchés par la désindustrialisation. Mais les sondages réalisés à la sortie des urnes corrigent cettegrille de lecturepurement social-protestataire (qu’onaparfois tendanceàappliquer en Franceau vote Le Pen). En fait, chez les plus pauvres (moins de $ par an) et dans la classe moyenne inférieure ( à $), c’est Clintonqui arrivenettement en tête. Tandis que Trump la devancedans toutes les tranches derevenu supérieures, y compris les plus de $ par an. Globalement, le voteTrumpest moins un vote de classequ’un vote de genreet de couleur : son électeur-typeest un homme blanc, deplus de ans, conservateur, et qui placeen têtede ses préoccupations non l’économiemais l’immigration et le terrorisme. En somme, le talent et l’habiletéde Trump, c’est d’avoir réussi, grâceàouen dépit de ses outrances, à rassembler autour du thèmedes frontières (lemur avec leMexique commesymbole) ladésespérancedes laissés-pour-comptede la révolution postindustrielle, le désarroi d’uneAmériqueprofonde blanche, patriarcale, religieuse et isolationniste, la colèrede ladroite traditionnelle contre le « socialisme » dont l’ « Obamacare » est l’exemple abhorré, et la rage anti-washingtonienne du TeaParty. On comprend que sa victoireait enthousiasmé tout ce que l’Europe comptede courants national-populistes. Ce cocktail original peut-il résister à l’épreuvedu pouvoir, c’est une autreaffaire.
« Hillary Clinton a été battue… avec environ 230 000 voix d’avance. »