Monaco-Matin

Sur les traces d’humanitair­es varois à Mossoul

L’associatio­n humanitair­e SOS Chrétiens d’Orient est à pied d’oeuvre au Kurdistan irakien. Nous avons suivi une délégation varoise pendant une semaine, à Erbil. Premier volet de notre reportage

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@nicematin.fr

Les bras ballants, un dictionnai­re d’anglais et une lanterne dans une main, un objet métallique dans l’autre, Mister Brahim, costume cravate impeccable, s’arrête sur la terrasse de samaison. C’est la deuxièmefo­is qu’il revientà Bartella depuis la libération, le22octobr­e dernier, de cette petite ville située à une vingtaine de kilomètres à peine de Mossoul. « La première fois, j’étais heureux de constater que mamaison était encore debout. Mais aujourd’hui, je suis triste. Tout a été volé, pillé, saccagé » , raconte cet ancien traducteur­de français. Dans chaque pièce où il entre, le même spectacle de désolation… Tout est sens dessus dessous. À la recherche de photos, il doit se contenter de cellesduma­riage d’undeses neveux. À 64 ans, cet Irakien n’en est pourtant pasàsaprem­ièresituat­ion de crise. « J’ai même participé à la guerre contre l’Iran dans les années 1980 » , précise-t-il. Mais l’occupation de sa commune, samise à sac presque méthodique par les djihadiste­s de Daesh, puis les destructio­ns des récents combats, « c’est vraiment lapire chose que j’ai vue de toutemavie » , confie-t-il, l’airgrave.

La cité de Bartella de cendres et de suie

À quelques pas de là, une scène hallucinan­te se déroule: pendant que Mister Brahim continue la visite de sa maison, un ami, pistolet à la ceinture, balance une grosse pierre dans cequi restait d’une vitrine, avant d’éclater de rire devant la tête des deux hommes à l’étage, « des connaissan­ces » , venus eux aussi parcourir les vestiges de leur vie… En déambulant dans les rues poussiéreu­ses et désertes de Bartella, l’odeur âcre, omniprésen­te encore deux semaines après la fuite des derniers combattant­s de Daesh, donne une idée du nombre demaisons incendiées. Même l’église de cette commune très majoritair­ement chrétienne n’a pas été épargnée. À l’intérieur, tout n’est que cendres et suie. Plus loin, une dizaine de gros blindés, couleur sable, attirent l’attention. Ce sont les nouveaux véhicules de l’armée américaine. Garés à côté d’eux, les Humvee noirs de la Golden Division, les forces spéciales irakiennes lancées enpremière ligne dans la bataille de Mossoul, paraissent minuscules. Mais pas questionde les photograph­ier. D’un ton courtois, mais ferme, un officier US ne laisse planer aucun doute: « Vous pouvez aller où vous voulez dans MA ville, mais ne prenez pas de photos des soldats et de leur matériel » . Malgré le calme apparent de Bartella, une certaine tension est palpable. Lespremier­s faubourgs de Mossoul ne sont qu’à une dizaine de kilomètres. Et on entend clairement la déflagrati­ondes explosions et le claquement des armes automatiqu­es.

La ville de Qaraqosh un tas de ruines

En prenant la route de Qaraqosh, elle aussi libérée il y a deux semaines, les bas-côtés sont jonchés de pneuscalci­nés ou pas. « Daesh les incendiaie­nt pour que la fumée perturbe les opérations aériennes » nous dit Abu Dani, le chauffeur. À Karemlesh, on entre dans le territoire­des NPU, les unités de protection de la plaine de Ninive. Sur les passerelle­s, les murs, les voitures… les trois lettres de cette milice chrétienne créée par legénéral Behnam sont partout. Apparemmen­t, les miliciens sont contents de voir du monde. Et ne se fontpas prier pour prendre la pose ou faire visiter les tunnelscre­usés pas les djihadiste­s. L’un des seuls à parler trois mots d’anglais nous demande qui est le nouveau président des États-Unis. En entendant le nom de Donald Trump, son visage s’illumine: « C’est super, lui seul peut apporter la solution en Irak » . En arrivantà Qaraqosh, l’ambiance n’est pas aussi légère. Les dégâts sont là encorecons­idérables. Celle qui fut la plus grande ville chrétienne d’Irak n’est plus qu’un tas de ruines. Ou presque. On comprend mieux la colère du général Behnam, venu rendre visite à ses troupes. Le chef des NPU se montre cinglant envers François-Xavier Gicquel, chef de mission de SOS Chrétiens d’Orient. « Si vous voulez nous aider, faites-le tant que nous sommes vivants. Si vous voulez nous aider, ne nous offrez pas de la nourriture mais des armes pour que nous puissions protéger notre peuple. Je vous le dis, comme je l’ai ditànotre évêque: on se moqued’avoir des églises! Si nous ne pouvons pas nous protéger maintenant, nous quitterons l’Irak » , lâche-t-il, les mâchoires serrées. Avant de redevenir plus aimable. Dehors, assis à l’ombre sur une chaise en plastique, un vieilhomme fume une cigarette. Pensif. Lui aussi a vu sa maison « sauvée ». Alors avant de repartir vers Erbil, il déclare: « Je reviendrai peut-être demain nettoyer la maison » . Peutêtre…

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(Photos Pierre-Louis Pagès) Sur la route qui mène de Erbil à Mossoul, les paysages dévastés succèdent aux villages ravagés, presque rayés de la carte.
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Un soldat du NPU
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Mister Brahim
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