Monaco-Matin

« Il n’est de progrès véritable en santé que s’ils sont partagés par tous » Interview

Thierry Beaudet, nouveau président de la Mutualité Française, rappelle la position des mutuelles et regrette que la dimension prévention soit insuffisam­ment prise en compte

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Élu en juin dernier à la présidence de la Mutualité Française, qui fédère la quasi-totalité des mutuelles santé en France, Thierry Beaudet choisissai­t la capitale phocéenne le 4 novembre dernier pour sa première visite officielle. L’occasion d’échanger avec lui sur les enjeux de la protection sociale et le rôle des mutuelles pour les population­s.

Notre système de santé est-il toujours l’un des plus performant? Nous avons un très bon système de santé; lorsqu’on est gravement malade, on sort la carte verte (vitale) avant la carte bleue (bancaire). Mais, lorsque l’on interroge les Français, ils disent qu’ils ont l’impression que ça se dégrade, que demain sera moins bien qu’aujourd’hui et qu’hier. Pourquoi? Parce que dans certaines régions, comme la vôtre, c’est désormais difficile d’accéder à un spécialist­e sans dépassemen­ts d’honoraires importants. Ailleurs, c’est le problème de non-remplaceme­nt de départ à la retraite des généralist­es qui inquiète ou encore des délais d’attente considérab­les.

Une étude récente pointe aussi la problémati­que des restes à charge qui peuvent conduire à renoncer à des soins. C’est une problémati­que importante. Auparavant, les adhérents demandaien­t à leur mutuelle: quel seramon remboursem­ent? Aujourd’hui, leur question est plutôt: combien va-t-il resteràma charge (après le remboursem­ent des parts sécu et mutuelle)? Ces questions se posent en particulie­r pour l’optique, l’audioproth­èse, l’orthodonti­e et les prothèses dentaires, mais aussi les dépassemen­ts d’honoraires lors de consultati­ons chez des spécialist­es. Il faut savoir que les personnes enALD (affection longue durée) prises en charge à  % ont statistiqu­ement les restes à charge les plus élevés et recourent le plus à leurmutuel­le. Pour une raison simple: souvent, ces personnes, prises en charge à  % pour une maladie (comme un diabète), deviennent polypathol­ogiques en vieillissa­nt, présentent d’autres complicati­ons qui ne sont pas prises à  %.

Lesmutuell­es ne pourraient­elles augmenter leur remboursem­ent? On a laissé s’installer les dépassemen­ts d’honoraires pour compenser le fait que la sécu n’arrivait pas à coter à la juste valeur un certain nombre d’actes. Le problème, c’est que lorsqu’il n’existe pas de plafond sur des dépenses, il y a le risque que chaque fois que la mutuelle augmente son remboursem­ent, le profession­nel augmente son tarif, et au final, ça ne change rien sur le reste à charge de l’adhérent. Nous ne voulons pas de ce système pour nos adhérents.

Quelle est aujourd’hui la position des mutuelles? Nous sommes favorables à tout ce qui permet de conforter une médecine de secteur  sans dépassemen­t d’honoraires. Mais, pour cela, il faut que le coût des actes, défini par la Sécurité sociale, soit en rapport avec leur valeur. Ce qui n’est pas le cas dans un certain nombre de situations.

Le tiers payant ne sera finalement pas obligatoir­e pour la part complément­aire. Cela va à l’encontre de ce que vous souhaitiez. Certains politiques, mais aussi des médecins avancent que le tiers payant est déresponsa­bilisant. Or, il n’existe aucune étude montrant un lien entre tiers payant et augmentati­on des dépenses de santé. Il existe simplement un effet rattrapage, Aumoment où il se met en place; les gens qui renonçaien­t aux soins, y voient l’opportunit­é d’aller se faire soigner. Mais on ne se réveille pas le matin en se disant: « je ne sais pas ce que je vais faire aujourd’hui, je vais aller chez mon médecin! »

Vous y croyez encore? Nous nous sommes organisés pour que ce tiers payant soit possible, sachant que l’on a déjà l’obligation de le mettre en place pour population­s fragilisée­s… Et Je pense pour ma part que nous y viendrons; il est impossible d’imaginer que dans quelques années, les médecins resteront à l’écart des évolutions technologi­ques et seraient ainsi les seuls à ne pas souhaiter faciliter la vie de leurs patients alors que dans tous les actes de la vie quotidienn­e, les échanges financiers se simplifien­t. Le problème, c’est que tous les acteurs sont mis en compétitio­n sur la base de paniers de soins très restrictif­s qui n’intègrent pas cette dimension de prévention, pourtant très importante. Nous savons que les gens sensibles à la prévention sont ceux qui en ont le moins besoin; les population­s fragilisée­s sont les plus éloignées de la prévention. Il n’est de progrès véritable en santé que s’ils sont partagés par tous. Il faudrait mettre prioritair­ement l’accent sur cette population. L’éthique mutualiste, c’est d’être attentifs aux plus fragiles.

À la veille d’élections importante­s, forts de vos millions d’adhérents, quels messages souhaitez vous faire passer aux candidats? On constate, en découvrant les programmes des candidats aux primaires, que les questions de santé et protection sociale ne sont pas centrales. Et surtout lorsque l’on creuse ces questions dans les programmes, on s’aperçoit que les mutuelles sont les grandes absentes. Or, si le seul face à face entre la sécurité sociale et les profession­nels de santé a permis de construire le système actuel, il a ses limites. Nous sommes désormais un acteur important dans le financemen­t du système de santé. Nous voulons qu’on nous reconnaiss­e un rôle à la hauteur de la place qui est déjà la nôtre dans le remboursem­ent.

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(DR) Thierry Beaudet, nouveau président de la Mutualité Française. On attend beaucoup les complément­aires sur le champ de la prévention, parent pauvre de la santé…

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