Monaco-Matin

D’un héros « guignolo »

- PROPOS RECUEILLIS PAR A.C.

Sur la couverture­ennoir et blanc, le regard espiègle. Clope au bec, léger sourire de garnement. Jean-Paul Belmondo, dans toute la force insolente de ses 30 ans. Mille vie valent mieux qu’une… Une enfance marquée par la guerre, et quelques privations. Mais aussi l’amour heureux et tolérant de ses parents. Une jeunesse insouciant­e, et ses virées nocturnesà­Saint-Germain. Une vocation de comédien qui imposera son style Marginal aux critères classiques de l’époque. Des anecdotes de tournage. De folles cascades. Ses amours, sa famille, ses rencontres avec Godard, Melville, Gabin, Delon. Ses réussites et ses quelques échecs… Sur trois cents pages au style enlevé comme un film de Bébel, Jean-Paul se raconte. Par écrit. Mais aussi à l’oral, même si la parole est parfois moins alerte que son « boum-bada-boum » d’autrefois…

Cette autobiogra­phie, c’était lebon moment? Ça faisait un bout de temps que j’y pensais, même si j’avais toujours refusé auparavant. Le projet s’est décanté peu à peu.

L’histoired’unmonstre sacré à l’incroyable carrière, mais aussi la vie turbulente d’un élève indiscipli­né! [sourire qui en dit long] Oui, jeme suis beaucoup amusé… C’est ce que je retiens dema vie, même quand j’ai fait des films sérieux.

Vous écrivez: « L’école m’adétesté » . C’est vrai, l’école ne m’aimait pas… mais moi non plus!

Après un spectacle, vous dites à votremère: « Moi aussi je veux être clown », et elle vous répond: « Tu l’es déjàmon fils » . En temps de guerre, les adultes étaient tristes et sérieux, alors j’avais envie de les faire sourire unpeu.

Une première audition chez un ami de votre père, comédien, récolteun : « Nul! » Mais au cours Raymond Girard, on vous décèle un certain potentiel… Je devais jouer une scène dramatique de Phèdre, mais tout le monde s’est mis à rigoler! Alors j’ai carrément joué ce jeu-là, et Raymond Girard m’a dit: « Je vais Jean-Paul Belmondo,  ans : « Toutemavie, jemesuis beaucoupam­usé… »

exploiter ton talent comique. » Oui, mais sur les tournages, ce serapareil! Ah ! j’y faisais l’idiot sans arrêt ! Un jour, excédé, JeanPierre­Melvillem’envoie dans ma loge pour que je me concentre unpeu entre deux prises. Quand il m’a fait chercher, onm’a trouvé en train de roupiller! Vous savez, il y a des acteurs qui ont besoinde rester très concentrés tout du long. Mais moi, je faisais le con, et dès que j’entendais « moteur » , c’était parti.

La rigolade, une habitude collective­dès le très sérieux Conservato­ire. Il y avait Rochefort, Marielle, Vernier, Cremer… on était bien ensemble et on faisait les imbéciles, jamais les derniers à faire un coup. On formait une vraie bande, et on est resté très unis, même si certains ont disparu…

Acteur de la Nouvelle Vague avec Godard ou Truffaut, votre jeu tranchait avec le

conservati­sme classique? Oh, vous savez, il y a des acteurs de la Nouvelle Vague qui jouaient sérieux. Nous, c’était à l’instinct. Dans Leon Morin prêtre, Melville a fait venir un curé en observatio­n, parce qu’il trouvait que je ne marchais pas comme un ecclésiast­ique. Le curé m’a regardé et a dit: « C’est tout à fait ça! »

Vous osiez tout? Oui, mais je ne me rendais pas vraiment compte. C’est comme le goût des cascades. Puisque je m’étais pendu dans la cage d’escalier petit, je me suis suspendu à un câble pour L’Homme de Rio. C’était la première fois, et j’ai tout de suite aimé jouer et faire les cascades. Ca m’amusait vraiment, mais je n’avais rien à prouver, et il y avait de bons cascadeurs.

Homme à femmes aussi, malgré la remarque de PierreDux, prof au Conservato­ire: « Avec votre tête, vous n’en tiendrez jamais dans vos bras » ? Je l’ai croisé plus tard avec

UrsulaAndr­ess au bras, et je lui ai dit: « Voyez, on fait ce qu’on peut! » Mais homme à femmes, je ne sais pas, c’est vous qui le dites. Vous savez, tout le monde est un homme à femmes. Pas tout le monde en a les moyens! [rires]

La femme de votre vie, c’est votre maman? Ah ! oui ! Jusqu’à  ans, elle était vive, elle ne se plaignait jamais, malgré une maladie qui l’a rendue aveugle. Après, quand j’avais de petits bobos, je pensais à elle, et je ne me plaignais pas.

Et puis laboxe qui vous a aussi endurci. Ah ! ça forme le caractère, même si je n’aimais pas prendre les coups ! La boxe, c’est un art, pas que de la baston. Le sens de l’esquive, de la reprise, c’est formidable. À l’époque, Marcel Cerdan était notre Dieu, et j’organisais des combats de boxe à l’école, où je voulais toujours l’incarner, face à Tony Zale. Mais en France, ce n’est pas possible d’avoir un gros rôle de boxeur au cinéma, comme en Amérique.

La Côted’Azur, où vous séjournez chaque été. La première fois que j’y suis allé, ce n’était pas pour le cinéma. J’étais jeune marié en  et nous avions passé un séjourmerv­eilleux àNice et sur la Cote d’Azur. [Interventi­on de Paul Belmondo: « EtMaman a été élue “plus belles jambes de la Côte d’Azur”! » ]. Oui, c’est vrai! Là-bas, c’est la belle vie et les gens sont charmants. Pendant Flic ou voyou, avec le cascadeur Pierre Rosso, on s’amusait à grimper sur les échafaudag­es du Negresco, hors plateau. On était un peu bourrés, et à un moment, je suis tombé dans une chambre… mais ce n’était pas la mienne! Pour les films, après, on s’inspirait de scènes réellement vécues. En , j’étais au bras de LauraAnton­elli, notre arrivée au Festival est merveilleu­se. Le film est projeté, et là, tout le monde commence à partir avant la fin. À la sortie, nous avons été accueillis par des sifflets. Ça m’a beaucoup affecté car j’étais aussi à la production de Stavisky. J’y jouais un rôle à contre- emploi, et l’on n’a pas voulu m’y reconnaîtr­e. Après ça, je ne voulais plus entendre parler de Cannes. Mais Thierry Frémauxm’a un jour proposé d’y revenir. J’ai d’aborddit non, il a fini par me convaincre [pour la projection de Belmondo, itinéraire…, le documentai­re réalisé par son ami cannois Jeff Domenech, ndlr]. Lors de la montée des marches, quand les photograph­es ont posé leurs appareils, j’étais très ému. C’était le plus bel hommage qu’on puisse me faire.

CommeAlain­Delon, acclamé à Cannes après avoir boudé le Festival. Votre vieux rival? Tous les deux, on a connu un destin incroyable. Jeunes, on s’est rencontré « en salle d’attente » pour la production­du film Sois belle et tais-toi, où on devait tenir un petit rôle chacun. On est tous les deux devenus de grandes vedettes. On a eu quelques disputes, notamment après Borsalino, mais c’était surtout une saine émulation entre nous. Je suis revenu tourner avec lui sur la Côte d’Azur dans Une chance pour deux, et j’en étais ravi. Aujourd’hui, il vit surtout à la campagne, mais on est restés amis, et on se voit quelques fois lorsqu’il vient à Paris.

Des joies, mais aussi des épreuves. Des films qui ont moins marché, et puis votre accident… L’échec de certains films, ce n’est pas grave. J’ai toujours pensé remonter la pente. Mon accident, ça m’a beaucoup plus touché. Pour la première fois, je ne contrôlais plus rien. Je suis resté deux ans sans parler, à moitié paralysé. Mais la volonté de jouer, et penser àmon père et à ma mère, m’a beaucoup aidé.

Et puis le clan Belmondo. Notamment Paul votre fils, avec lequel vous avez tourné un documentai­re, et qui a collaboré au livre? J’ai toujours été proche de lui. Il a fait une belle carrière de pilote, etmaintena­nt de comédien, je suis très fier de lui. Et j’ai aussi unpetitfil­s qui veut faire l’acteur!

La Francemanq­uedehéros à laBelmondo? Peut- être… Il faut du temps. Aujourd’hui, la France est frappée par des attentats, c’est horrible! Je vais aller voter à la Présidenti­elle, mais je ne vous dis pas pour qui. Un acteur joue pour tout le monde, et garde ses idées pour lui.

Le théâtre, le cinéma, vraiment fini? Ah ! ça, on le dit jamais! Le théâtre, je ne sais pas… L’ambianceme­manque, mais rejouer, c’est dur… et j’ai pris l’habitude de ne rien faire.

Des regrets? Sur le plan profession­nel, de ne pas avoir joué Scapin, Bardamude Voyage au bout de la Nuit, etMesrine, qui m’avait écrit depuis sa prison en me disant de ne pas mettre lemot « fin » au script. Sur le plan personnel, non. Bien ou mal, j’accepte la vie comme elle est…

C’est vrai, l’école ne m’aimait pas… mais moi non plus! » Tout lemonde est un hommeà femmes. Pas tout le monde en a les moyens! »

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(Photo AFP) Un lienprivil­égié? Anecdotede tournage? ÀCannes, vous avez tout connu: conspué en  avec Stavisky, et honoré d’une Palme d’or en  ?

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