Maupassant au naturel
Après La Loi du marché, film social et engagé, qui aurait cru que Stéphane Brizé change radicalement de registre en s’orientant vers le film d’époque ? Sur le papier, retracer en moins de deux heures, l’essence du premier roman écrit par Guy de Maupassant était une gageure, mais force est de constater que le réalisa- teur de Quelques heures de printempsaun talent monstre, une science de l’écriture quasi parfaite. Sans jamais renier l’aspect littéraire, il s’approprie, en compagnie de Judith Chemla – parfaite pour donner corps à Jeanne– cette vie étalée sur près de trente ans. Dans un magnifique format 4/3, la reconstitution du XIXe siècle et de sa nature est impeccable. La caméra, souvent portée à l’épaule, donne un côté documentaire saisissant au parcours de cette femme, fait de petits hauts et de nombreux bas. La forme épate. En illustre la fuite, visuellement splendide, de la belle en pleine nuit, après qu’elle eut appris l’infidélité de son époux. L’adaptation vaut aussi par la qualité de ses ellipses. Plutôt que de les marquer, Stéphane Brizé les effectue tout en douceur, comme s’il s’agissait simplement de tourner la page d’un livre pour vieillir de quinze ans. Le temps se suspend et lemontage – image et son – est minutieux avec une utilisation du off et du hors-champ étourdissante. Autant de facteurs qui témoignent à la fois d’un respect total envers l’oeuvre et d’une volonté de réappropriationpersonnelle. Unpur travail d’auteur, qui ne fera peut-être pas couler de larmes – certains le lui reprocheront –, mais demeureadmirable sur tous les autres aspects.