Monaco-Matin

Olivier Roy : « Lamort est au coeur du projet djihadiste »

Grand spécialist­e de l’islam, Olivier Roy explique dans son dernier ouvrage Le Djihad et la mort que, plus que l’islam, c’est la violence proposée par Daesh qui séduit les jeunes djihadiste­s

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Ceux qui ne le connaissai­ent pas auparavant l’ont récemment vu ferrailler avec Gilles Kepel sur l’origine du terrorisme islamiste. Politologu­e reconnu, fin connaisseu­r du monde musulman et de l’Afghanista­n, Olivier Roy annonce depuis longtemps déjà la fin de Daesh. Avec la grande offensive lancée pour reprendre Mossoul, l’actualité semble lui donner raison.

Vous déclarez que « lamort fait partie du projet djihadiste ». Ce serait donc l’acte de foi ultime? Il suffit de regarder les statistiqu­es pour se convaincre que lamort est au coeur de leur projet. Depuis  ans qu’on est confronté aux attentats en France, depuis Khaled Kelkal en , jusqu’au -Juillet dernier à Nice, presque tous les djihadiste­s se sont fait sauter ou se sont laissés tuer par la police. On l’a encore vu avec Abdeslam et Abaaoud, aucun n’a de plan B pour s’en sortir si jamais, par hasard, ils ne sont pas tués. Quand ils partent en action, ils savent qu’ils vont mourir. Ça fait partie de leur projet. Il y a évidemment là une dimension religieuse puisqu’ils pensent qu’ils vont aller au paradis.

Ce serait en quelque sorte un raccourci pour atteindre ce paradis? Oui. Et ce raccourci les dispense demener une vie de croyant. Du coup, ils n’ont pas besoin de faire la prière tous les jours, n’ont pas besoin de manger hallal, ni de se comporter en bon musulman. C’est paradoxal. Ils vivent comme des pêcheurs mais, au lieu de s’installer dans une vie d’orthopraxi­e, d’orthodoxie, ils se font sauter et pensent que tout leur passé de pécheur sera ainsi effacé.

Vous décrivez aussi les terroriste­s comme de « grands enfants » qui se rêvent en super-héros... Ils ont effectivem­ent cette fascinatio­n pour les super-héros. Ils le disent. Quand ils sont en Syrie, ils adoptent des postures de super-héros. Quand ils se font filmer avec le turban au vent, les cheveux au vent, kalachniko­v à lamain, dans des x qui foncent dans le désert, on est complèteme­nt dans l’imagerie du super-héros. Le jeune Marseillai­s avec sa kalachniko­v, et qui frime tout autant, n’en est d’ailleurs pas très éloigné. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que le terrorisme provient plus d’une islamisati­on de la radicalité que d’une radicalisa­tion de l’islam? Pratiqueme­nt aucun de ces jeunes n’est passé par l’étape salafiste. Aucun n’a été un pilier de mosquée pendant des années. Aucun n’a fait partie de mouvements prédicatif­s (ceux qui vont de porte en porte pour convertir ou reconverti­r les gens). Aucun n’a fait partie d’associatio­n islamique. Aucun n’a fait d’étude religieuse. On les voit se radicalise­r dans le cadre d’un petit groupe, et ce petit groupe choisit le djihad, quand d’autres choisissen­t les gangs, la drogue... Il n’y a pas d’étape préalable. Quand ils choisissen­t l’islam, c’est parce qu’ils sont fascinés par la radicalité de Daesh. C’est la radicalité qui les attire. C’est pour cette raison qu’il est idiot de leur donner des cours de bon islam, parce que ces gars-là ne vont jamais chercher l’islammodér­é. Ce n’est pas leur problème. Ce qui les fascine, c’est la kalachniko­v.

On fait donc fausse route dans la façon d’aborder la déradicali­sation? On voit ça comme si ces gars-là s’intéressai­ent d’abord à la religion, mais qu’ils avaient lu lesmauvais textes ou rencontré lemauvais imam. On croit qu’en leur présentant le bon texte et le bon imam, ils vont devenir modérés. Pourmoi, c’est absurde. La plupart d’entre eux ont été séduits d’emblée par la radicalité.

Parlons du salafisme: vous affirmez qu’il n’a pas grand-chose en commun avec le djihadisme. Le salafisme n’est pas l’antichambr­e du terrorisme. Mais les salafistes posent néanmoins un problème social énorme, dans la mesure où ils sont dans une attitude séparatist­e. On le voit dans les quartiers, il y a une responsabi­lité sociale du salafisme. Et il ne faut pas les exonérer de ça. Il faut les rappeler à leur responsabi­lité. Mais si on le fait uniquement sous l’angle de la violence terroriste, on se trompe parce qu’ils auront beau jeu de dire: « Dites-nous quel terroriste a fabriqué ma mosquée? » Il faut rappeler aux salafistes qu’un croyant est aussi un citoyen. Et que l’État a le droit, le devoir de s’intéresser aux croyants comme citoyens. Il ne peut pas leur conférer un statut d’exceptionn­alité.

Vous appelez à une nécessaire refonte de l’islam de France. Je pense qu’on se trompe d’acteur. On est là concentré sur des problèmes de salafistes et de quartiers, et on ne voit pas les classesmoy­ennesmonta­ntes d’originemus­ulmane. Lesmédecin­s, les professeur­s, c’est eux l’avenir parce qu’ils ont les moyens intellectu­els, lesmoyens financiers, la surface sociale... Ce ne sont pas des exclus. Donc, au lieu de concentrer les projecteur­s sur le petit imam demosquée de quartier qui parle mal le français, il faut au contraire accompagne­r le développem­ent d’une classe moyenne et que cette dernière prenne ses responsabi­lités en parrainant les mosquées, en créant des associatio­ns islamiques qui permettent de gérer desmosquée­s, de payer correcteme­nt des imams. Le jour où on paiera correcteme­nt un imam, vous verrez que d’un seul coup le niveau intellectu­el de l’imammonter­a. Aujourd’hui, les imams ne sont pas des acteurs de l’intégratio­n parce qu’euxmêmes ne sont pas intégrés du tout. Il faut que l’islampasse des quartiers difficiles aux classes moyennes. Alors on aura un islam visible, intégré et beaucoup plus sophistiqu­é que le discours salafiste de base. Votre livre est assez noir. Même si vous annoncez la fin deDaesh, vous affirmez que ça nemettra pas fin à la radicalisa­tion. En Europe, je pense qu’à un moment donné l’image prestigieu­se que peut avoir Daesh auprès de certains jeunes va s’évanouir. Mais que va-t-il se passer après? Va-t- on voir apparaître une nouvelle forme de radicalisa­tion? Je ne sais pas. Pour leMoyen-Orient, en revanche, les lendemains s’annoncent difficiles. En Occident, aveuglé par le grand discours sur la guerre des civilisati­ons, on ne voit pas que ce qui se passe auMoyen-Orient en ce moment est une guerre civile opposant les musulmans aux musulmans. Et non les Arabes auxOcciden­taux. Comme toutes les guerres civiles, elle sera très meurtrière, très dure et très longue. La chute de Daesh sera un élément important mais ne mettra pas fin à la guerre.

Comparerie­z-vous le djihad actuel avec les jeunes Français qui à l’époque partaient combattre le communisme? Pas du tout. Pour la simple et bonne raison que ces jeunes que vous évoquez n’avaient pas justement un projet de mort. Certes ils envisageai­ent de se faire tuer mais ils n’y allaient pas pourmourir. Ils espéraient bien battre les Soviétique­s et avaient pour objectif de libérer l’Afghanista­n. Les jeunes djihadiste­s d’aujourd’hui se moquent de la société syrienne. Ils ne vont pas en Syrie pour libérer les Syriens, mais pour faire leur guerre à eux, assouvir leur soif de violence et leur quête d’héroïsme.

Le salafisme, un problème social énorme” La chute de Daesh ne mettrapas fin à laguerre”

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