Monaco-Matin

La droite « normale »

- CLAUDE WEILL Par

François Fillon réussira-t-il à opérer ce « changement complet de logiciel » qu’il propose au pays? Sa victoire, son triomphe à la primaire de la droite et du centre signe en tout cas unprofond changement de logiciel de la droitefran­çaise. Dans unpays où les repères idéologiqu­es ont si longtemps étébrouill­és par le gaullisme – qui prétendait effacer le clivage gauchedroi­te – et ses avatars successifs, François Fillon incarne une droite qui a en réalité peu d’équivalent­s sur la scène nationale depuis undemi-siècle et qu’on pourrait nommer la droite tranquille, ou plutôt la droite classique. Le fillonisme – osons ce néologisme pour désigner le phénomène qui s’esquisse sous nos yeux – ne s’identifie en effet à aucune des catégories politiques connues de la droite française. Même s’il emprunte à beaucoup. La droite de Fillonne descend pas du gaullisme historique, qui se voulait au- dessus des partis et de tous les intérêts particulie­rs. Ni du gaullisme social de Chaban (même s’il a été très proche de Philippe Séguin). Ni dunéo- gaullisme un peu rad-soc d’un Jacques Chirac. Elle ne s’apparente pas davantage à la droitemode­rniste deGiscard. Ni au populisme vibrionnan­t de Sarkozy. Fillonn’est ni un colbertist­eàla Henri Guaino, ni un pur libéral à laAlainMad­elin. Ni un européiste à la Lecanuet, ni un euroscepti­que radical à laDupont-Aignan. Ce n’est pas un idéologue, mais il a concocté le plus audacieux projet de rupture avec le « modèle français » qu’aucundirig­eant de droite ait osé proposer au pays. Pour trouver une référence dans le passé français, c’est peut- être du côté d’un Joseph Laniel qu’il faudrait la chercher, ou plus récemment d’un Antoine Pinay. Ou encorede Georges Pompidou – à conditiond­emettre de coté, chez ce dernier, l’amitié dumonde artistique et le goût des avant- gardes. Mais en réalité, c’est plutôt à l’étranger, dans les partis conservate­urs d’Allemagne, d’Espagne ou de Grande-Bretagne, ou de ce qu’on appelait jadis, sans esprit péjoratif, les partis « bourgeois », qu’on trouvera le plus de points communs. C’est en quoi François Fillon, au long de cette campagne, a bel et bien « normalisé » la droite française. Dans un pays où tant de dirigeants de droite ont longtemps refoulé un « surmoi de gauche », une révérence inavouée devant cette intelligen­tsia de gauche que Sarkozy s’est obstiné à combattre à coups demots, Fillon, l’homme de l’ouest aux paroles pondérées et aux conviction­s fortes, incarne une droite apaisée, décomplexé­e. En accord avec elle-même, aussi bien sur le terrainde l’économie que sur celui des valeurs. Celui que personne n’avait vu venir était sans doute celui que l’électorat de droite attendait. Parce qu’il lui ressemble. Quant à savoir si, au- delà des électeurs de la primaire, le nouveau champion de la droite française réussira à convertir à ces mêmes idées unpeuple qui passe pour l’un des plus attachés aux sécurités de l’Etat-providence, et le plus allergique au libéralism­e, c’est une tout autre histoire. Qui ne fait que commencer.

« Fillon, l’homme de l’ouest aux paroles pondérées et aux conviction­s fortes, incarne une droite apaisée, décomplexé­e. »

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