Jusqu’à cinq ans requis hier à Marseille
Ce sont les peines réclamées hier par, fait exceptionnel, deux procureurs de la République. Certaines faiblesses du dossier n’ont pas simplifié la compréhension du rôle des onze prévenus
Hier à Marseille, à l’occasion des réquisitions dans l’affaire « mainspropres », on auraeffectué plusieurstours de la planète. Dépaysant. Tobago, Panama, les Îles vierges britanniques, la Suisse, le Delaware. Unevéritable géographie des paradis fiscaux. Làétaienthébergés les comptes utilisés par la famille de René Vestri, feu le sénateur maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Olivia, la fille, Lucette, la veuve, y géraient un patrimoine à fairetourner les têtes. Certains comptes dépassaientallégrementle million d’euros. Fait inhabituel, deux procureurs, Ludovic Leclerc et Sophie Mercier, se sont réparti la tâche hier à la 6e chambre du tribunal correctionnel. Pour clarifier les choses? Dans ce cas, le but est raté. Car cette affaire « mains propres » est au-delàdudossieràtiroirs. C’est un dressing sombre et encombré, pleinàcraquer de linge sale. « Il y a un certain nombre de difficultés, a admis le procureur, Ludovic Leclerc, dans son préambule. Beaucoup de portes ont été ouvertes et jamais refermées. » En d’autres mots, un dossier mal ficelé. Il dit donc vouloir s’appuyer sur un « faisceau d’indices ».
Audience électrisée
Goguenard, Me Eric Dupond Moretti, l’un des trois avocats des frères-Marzocco, entrepreneursmonégasques, lui adresse un pouce ironiquement tourné vers le haut. Le ténordubarreau s’est appliquéàélectriser l’audience, maugréant, affichant unair consterné, créant l’incident en fin de réquisitions de Ludovic Leclerc. Réquisitions il est vrai psalmodiées à voix basse, et donc parfaitement inaudibles. Le procureur refusera ostensiblementderépéter les peines encourues malgré la demande furibarde de Me Dupond Moretti. Plus en voix, le second procureur, Sophie Mercier, a tout demêmeextirpéunhommedece fatras: Lino Alberti. De ce septuagénaire à la crinièregrise flamboyante elledit que c’est un personnage de roman. En fait la clé de voûte de l’affaire. « Il a contribué au pourrissement de l’économie de Beausoleil et de Saint-Jean-Cap-Ferrat », lâche laprocureurede la République. Sophie Mercier dépeint un homme dangereux, fréquentantvolontiers les caciques locaux de la mafia et du grand banditisme. Les deux procureurs se sont attachés à décrire le pacte de corruption qui liait selon eux les onze prévenus, requérant jusqu’à cinq ans dont trois ferme au maximum. On découvre un univers fait de petits arrangements entre amis, d’ap- porteurs d’affaires, de valises de billets, de relation à tu et à toi entrepolitiques et affairistes.
Gérard, oui, mais lequel?
Gérard Spinelli, maire de Beausoleil, était-il au rang des corrompus? « Oui », affirme l’accusation. Pour le ministère public, le premiermagistrat était bien le «Gérard » mentionné à la main sur une des enveloppes d’argent liquide retrouvées chez Lino Alberti. « En rien! » s’est insurgé son avocat, Me François-Xavier Vincesini. Et de rappeler que, dans sa comptabilité occulte découverte par les enquêteurs, Lino Alberti désignait toujours le maire de Beausoleil par «Spinelli ». Et donnait du « Gérard » àun autrehommedudossier, nonmis en examen(NDLR: nousnepouvonsen publier lenom). « Alberti versait régulièrement à ce Gérard-là plusieurs centaines de milliers d’euros. » À tel point, affirme l’avocat, quequandun rendez-vous réunit les deux « Gérard », Lino Alberti écrit dans son agenda: « rendez-vous Gérard-Spinelli ». Distinguant ainsi les deux hommes. « Vous n’avez donc rien contre Gérard Spinelli! », plaide l’avocat, demandant la relaxe. Que restera-t-il de ce dossier à la fin? C’est toute la questionqui flottait hier soir sur l’audience où, excepté le cas de Lino Alberti, n’ont été requisesquedes peines avec sursis. « Un aveu de faiblesse », assure Me François-Xavier Vincesini en coulisses. Les plaidoiries se poursuivent aujourd’hui. Il va falloir au tribunal beaucoup de discernement pour faire le tri dans le dressing…