Et si le Negrescoétait reconnu d’utilitépublique?
Jeanne Augier avait mis en ordre sa succession pour que son « petit Versailles » niçois lui survive. Afin que des « intérêts privés » n’entravent pas ses dernières volontés, la justice autorise la création d’une fondation « Negresco »
Le processus sera long. Entre un et trois ans. « Sans garantie de résultat » , précise avecprudenceMe BéatriceDunogué-Gaffié. Cette administratrice judiciaire gère, depuis 2014, le fonds de dotation qui, audécès de Jeanne Augier, héritera de la fortune de l’emblématique patronne du Negresco, aujourd’hui âgée de 93 ans. Le palace niçois est l’un des derniers établissements de luxe français à ne pas être tombé aux mains d’une grande chaîne hôtelière ou d’investisseurs étrangers. Jeanne Augier a voulu qu’il en soit ainsi, même après sa mort. C’est pourquoi elle a créé, à la fin des années 2000, un fonds de dotation destiné à recevoir en héritage ce bijou architectural de la Côte d’Azur. Un moyen de préserver le Negresco des appétits financiers ? C’était sans compter sur les convoitises que ce legs estimé à 300 millions d’euros susciterait au sein même de son propre fonds de dotation.
Administrateurs à vie
Pour éviter toute tentative de captation, la justice avait dû remédier à la dégradation de l’état de santé de JeanneAugier en plaçant sous « tutelle » la propriétaire du palace. Une enquête a même été ouverte pour « abus de faiblesse ». Et l’un des administrateurs du fonds de dotation s’est retrouvé mis en examen dans cette affaire « Bettencourt » à la niçoise ( lire ci-dessous). Pour autant, la justice ne peut défaire les dernières volontés que JeanneAugierad’ores et déjà couchées sur le papier. Par la voie d’un testament dûment enregistré chez son notaire et au travers des statuts de ce fonds de dotation qu’elle a créé en 2009. Or les administrateurs de cette structure ont été nommés à vie! Me Dunogué-Gaffié ne fait pas mystère des « querelles » internes et du climat de « suspicion » qui prévaut aujourd’hui au sein de ce conseil d’administration. Depuis deux ans, la mandatrice parisienne en assure la présidence en lieu et place de Jeanne Augier. Mais, pour elle, cette solution judiciaire ne peut être que « temporaire ». De toute façon, cette mesure de sauvegarde prendra nécessairement fin avec le décès de la propriétaire du Negresco. Au risque de voir alors resurgir les intérêts particuliers pour l’heure étouffés par ce couvercle judiciaire?
Nouvelle ordonnance du tribunal
Voilà pourquoi Me Dunogué-Gaf- fié confie mener une véritable « course contre la montre » afin de sortir au plus vite de ce « pataquès ». Son obsession: « préserver au mieux le patrimoine » de Jeanne Augier et « sécuriser la gouvernance » de son fonds de dotation. Pour cela, l’administratrice judiciaire a eu l’idée de donner un cadre bien plus rigide à la structure de droit privé créée en 2009, par la propriétaire du palace niçois. Me Dunogué-Gaffié veut transformer le fonds de dotation en fondation. La différence n’est pas que sémantique. « Au lieu de cinq administrateurs on passerait à une quinzaine, explique-t-elle. Les fondateurs initiaux ne seraient pas écartés, mais siégeraient alors à leurs côtés des membres de droits désignés directement par l’État. » Ce qui, selon elle, aurait lemérite d’introduire un certain « professionnalisme » et surtout « d’écarter tout intérêt particulier » . Pour entreprendre cette démarche qu’elle qualifie de « bienveillante » , l’administratrice vient de franchir une première étape primordiale. Par une ordonnance rendue, vendredi dernier, le tribunal l’a non seulement autorisée à lancer le processus de transformation, mais lui a enoutre donné pouvoir de le « conduire à son terme ». Même si Jeanne Augier venait à décéder entre-temps. Reste toutefois à convaincre leministèrede l’Intérieur du bien fondé d’une telle structure sur le plan de sonutilité publique. La gestion d’unhôtel de luxe ne relèvepas, a priori, de l’intérêt général. Sauf peut-être lorsque le palace en question fait partie intégrante du patrimoine de la Côte d’Azur depuisplus d’un siècle. Qu’il contribue aujourd’hui encore à son rayonnement culturel et à son attractivité touristique. C’est bien ce qu’entend plaider Brigitte Dunogué-Gaffié. Au-delà du « bienêtre animal ». Une tout autre cause à laquelle devait initialement se consacrer le fonds de dotation du Negresco. Mais, « il faudra peutêtre faire des choix » , concède l’administratrice judiciaire.