Merci, Monsieur Cahuzac!
Décidément, l’inénarrable Jérôme Cahuzac a bien mérité de la République: M. « Je-n’ai-pas-je-n’aijamais- eu-de-compte- en-Suisse » aura beaucoup fait pour la transparence et la lutte contre la fraude fiscale dans ce pays. Car enfin, ironie mise à part, sa sévère condamnation marque une date et peut- êtremême un tournant dans l’histoire d’un combat aussi vieux que l’impôt: désormais, il sera difficile de dire que les politiques passent toujours à travers les gouttes. Ou que, suivant l’adage « Selonque vous serez puissant oumisérable… » , la justice semontre toujours plus clémente envers les délinquants en col blanc qu’envers les voyous ordinaires. Ah, JérômeCahuzac aurapayécher sa « part d’ombre » ! Et il y a une morale – teintée d’une pointe de cruauté raffinée – à voir l’ancien ministre terrassé par la procureure Eliane Houlette, c’est-à-dire par le parquet national financier créé… à la suite de « l’affaire Cahuzac » afin de renforcer la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. Trois ans! Conformément aux réquisitions de la procureure, l’ex-ministre a donc écopé de trois ans ferme. Décision rarissime en matière fiscale (d’autant que les sommes en jeu, en l’espèce, n’étaient pas si énormes) que justifiait, aux yeux des juges, « l’exceptionnelle gravité » de la fautedeCahuzac: du fait de ses responsabilités politiques, il « incarnait la politique budgétaire de la France » et était « le dépositaire de la lutte contre l’évasion fiscale » . Ce n’est pas le mensonge « les yeux dans les yeux » qui est sanctionné. Le jugement n’est pas moral. Il est politique autant que juridique: il s’agit de démontrer que la justice sera désormais impitoyable envers une criminalité financière qui « conforte le sentiment d’exclusion ressenti par certains, propage l’idée qu’il existe une impunité des puissants et favorise les
comportements de rupture » . Lemessage est double: il s’adresse aux fraudeurs (gare à vous!) et à tous ceux qui doutent de l’équanimité de la justice. Oui, décidément, ce Jérôme Cahuzac aura fait jusqu’au bout un coupable idéal. Il était déjà à l’origine d’une nouvelle législation sur la corruption et les conflits d’intérêts: tout l’arsenal voté en (déclaration de patrimoine, Haute autorité de la transparence de la vie publique, etc.), un des plus rigoureux au monde, connu sous le vocable de « lois Cahuzac », comme s’il en était l‘auteur, alors qu’il en fut, à son corps défendant, l’élément déclencheur. Voilà qu’au terme de son procès, il fournit un condamné parfait, un bouc émissaire indéfendable; il prête son visage à ce phénomène invisible, impalpable – la fraude fiscale – sur lequel le pouvoir a décidé de braquer les projecteurs, afin de sortir par le haut du scandale Cahuzac. Une opération « mains propres » qui n’aurait sans doute jamais eu lieu si le ministre du Budget en personne n’avait eu les mains sales. Le vice au secours de la vertu, en somme. Quant à savoir si le proscrit effectuera réellement sa peine… Cela dépendra de la suite duparcours judiciaire. L’affaire va aller en appel. En attendant, Jérôme Cahuzac reste libre, le tribunal n’ayant pas jugé bon de délivrer unmandat de dépôt à l’audience. Comme si la portée symbolique de la condamnation importait plus que son exécution…
« Une opération “mains propres” qui n’aurait sans doute jamais eu lieu sinon. »