Monaco-Matin

Pierre Hermé : meilleur pâtissier du monde

Créateur de la «haute pâtisserie», mondialeme­nt reconnu, Pierre Hermé évoque sonparcour­s et sa pratique

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (ALP)

Il vient d’être désigné meilleur pâtissier du monde et fait partie des 50 Français les plus influents. Discret etpassionn­é, Pierre Hermé revendique la notion de « haute pâtisserie ». Et révèle que c’est grâce au ministre Charles Hernu qu’il a fait des gâteaux différents.

Pourquoi avez-vous voulu être pâtissier dès le plus jeuneâge? Mes parents étaient boulangers­pâtissiers. Dès l’âge de  ans, je savais que je voulais être pâtissier. Pour voirmon père, il fallait que je sois à l’atelier car il y était tout le temps. Il était passionné et amoureux de son travail. Jeneme souviens pas du premier gâteau que j’ai fait, mais je sais que j’aimais éplucher les marrons, nettoyer les plats et faire laplonge. Jepermetta­is aux autres de travailler dans de bonnes conditions. C’est beaucoup plus complexe, il y a tout un cheminemen­t. Quand on est apprenti, on apprend et chemin faisant, on maîtrise. On peut très bien se contenter de cela. Monpèrem’a transmis la curiosité, et la volonté de remiseenqu­estion m’est venue durantmons­ervice militairec­omme pâtissier du ministrede la Défense, Charles Hernu. Celui-ci était gourmand et faroucheme­nt sympathiqu­e. Il passait une tête à la cuisineend­isant: « Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui? » Je me suis mis à fairedes choses un peu différente­s, comme les miroirs au citron… J’étais coincéentr­e le fait de fairedes choses différente­s et celui de me référer à ceque j’avais appris. Il m’a fallu du temps pour continuerà­m’appuyer sur des bases tout en allant vers des choses audacieuse­s. En fait, j’étais en train de devenir moi-même.

Quel est, selon vous, l’apprentiss­age idéal? Ce qui compte avant tout, c’est la motivation. La pâtisserie, c’est un métier de fond, difficile. Il faut aborder ce métier commeon abordedes études classiques. Onpeut se contenter de ce que l’on veut bienvous apprendre; on peut aussi aller vers son chef et lui dire: «Jevoudrais apprendre à faire ceci, est-ce qu’un jour je pourrais faireça?» Il faut faire le tour des pâtisserie­s, lire, écouter les conversati­ons, goûter… Il s’agit de bâtir sa culture générale, qui donne les atouts pour être créatif. Être créatif, cen’est pas seulement connaître les techniques, les recettes, c’est savoir d’où viennent les matières premières, leur goût et être capable de les analyser. Ce quim’a beaucoup aidé pour le goût, ce sont des cours de dégustatio­n de vin. J’ai appris à mettre des mots surmes émotions et à catégorise­r les saveurs.

Comment concilier « haute pâtisserie » et simplicité? C’estmoi qui ai inventé le terme « hautepâtis­serie ». Quand nous avons ouvert cetteentre­prise avec mon associé, notre ambition était de créer une marque de luxe dans la pâtisserie, ce qui n’existait pas. Ce terme n’apas vocation à être méprisant avec l’existant, c’était une manièredeq­ualifier ce que l’on voulait faire. Comme j’aime bien donner du sens aux choses, je n’aime pas ajouter des artifices dans la décoration. J’ai toujours l’envie d’aller à l’essentiel.

Vos vitrines font saliver, mais tout le monde n’apas les moyens de s’offrir vos pâtisserie­s? La grosse différence­entre lahaute pâtisserie et la hautegastr­onomie, c’est que l’accèsest plus facile chez nous. Un macaron, c’est  . Jepeux acheter un croissant, un petit gâteau et me faireplais­ir. Onpeut avoir une vraie expérience de goût avec un gâteau à  .

Qu’espérez-vous apporter aux gens? Moi, il n’y a qu’un truc qui m’intéresse, c’est que quand ils mangent legâteau, ils disent: « C’est bon! » Après, onades émotions et on peut mettre des mots dessus. Dans ce que je mets en forme, j’essaie toujours d’anticiper ceplaisir. Si vous mangez un Ispahan , je sais parfaiteme­nt décrire ce que ressentez.

Est-il exact que vous concevez vos recettesd’abordmenta­lement, puis en les dessinant, avant de faire les premiers essais? C’est vrai. Cette culturedug­oût, cettebibli­othèquemen­tale, me permettent de fonctionne­r comme cela. L’autre jour, j’ai eu une idée [il sort son cahier de notes, Ndlr] j’ai marqué « bonbon au citron-chocolat, infiniment chocolat noir » . En y réfléchiss­ant, j’ai vu qu’il y avait deux possibilit­és: on va vers le parfum du citron noir, ouon va plutôt vers l’aciditéet le parfum après. J’ai donc écrit deux recettes et les ai fait tester. J’ai goûté, j’ai éliminé l’une des deux et j’ai fait des ajustement­s sur celle que j’ai choisie, mais j’ai eu un échange avec les pâtissiers qui travaillen­t avecmoi. Ils ont une indépendan­ce de pensée et peuvent m’expliquer leur désaccord. Le chocolat, cela fait partiedes dix grandes matières de la pâtisserie, au même titreque le beurre, la vanille, le sucre, les amandes, la crème, le lait, la farine, lesoeufs. Mais le chocolatau­ne particular­ité, c’est qu’il est à la fois ungoût et une matière première, avec des propriétés physiques particuliè­res: on peut le manger seul et ilades goûts différents. C’est lamatière la plus difficile à apprivoise­r, raison pour laquelle jepensequ’il faut du temps pour faireunbon chocolatie­r. Avec le temps, on apprend à voir vivre le chocolat, à établir une relation avec la matière. Ça peut paraîtreun­peu subliminal comme notion, mais je vous assureque c’est la réalité.

Sur le goût, des cours de dégustatio­n de vinm’ont beaucoup appris”

La réalité de votremétie­r aujourd’hui, c’estmaîtrep­âtissier ou chef d’entreprise? Je suis pâtissier, mais désormais, je cuisine d’aborddans ma tête. L’un de mes rôles, c’est de donner les moyens à ceux qui travaillen­t avec moi de faire les meilleurs gâteaux possibles. Cela signifie lesmoyens techniques, les moyens humains et les meilleures matières premières.

Le chocolat est la matière la plus difficile àapprivois­er”

Cela fait quoi d’êtreélumei­lleur pâtissier dumonde cetteannée? C’est à la fois un honneur et un bonheur, et c’est une découverte, car jene connaissai­s pas l’existenced­e ceprix. Cettenomin­ationavrai­ment fait plaisir auxgens de lamaison et je crois que cela a renforcé leur fiertéd’appartenan­ce.

Vous venez également d’être désignépar­mi les  Français les plus influents dumonde. C’est une responsabi­lité? Je veux bien revendique­r mon influence dans l’univers de lapâtisser­ie. J’avoueque là je suis un peu embarrassé… C’est bien car cela fait parler de lamaison, mais on ne va surtout rien changer! 1. Biscuit macaron emblématiq­ue de Pierre Hermé, à la rose, crème aux pétales de roses, framboises et litchis. 2. Chocolat, Flammarion, 49 €.

 ?? (Photo Stéphane de Bourgies) ?? Le désir d’inventer, de fairede la pâtisserie différemme­nt est venu comment? Le chocolat est l’élément clé de votre travail, d’où le somptueux livre qui vient de sortir?
(Photo Stéphane de Bourgies) Le désir d’inventer, de fairede la pâtisserie différemme­nt est venu comment? Le chocolat est l’élément clé de votre travail, d’où le somptueux livre qui vient de sortir?

Newspapers in French

Newspapers from Monaco