Pierre Hermé : meilleur pâtissier du monde
Créateur de la «haute pâtisserie», mondialement reconnu, Pierre Hermé évoque sonparcours et sa pratique
Il vient d’être désigné meilleur pâtissier du monde et fait partie des 50 Français les plus influents. Discret etpassionné, Pierre Hermé revendique la notion de « haute pâtisserie ». Et révèle que c’est grâce au ministre Charles Hernu qu’il a fait des gâteaux différents.
Pourquoi avez-vous voulu être pâtissier dès le plus jeuneâge? Mes parents étaient boulangerspâtissiers. Dès l’âge de ans, je savais que je voulais être pâtissier. Pour voirmon père, il fallait que je sois à l’atelier car il y était tout le temps. Il était passionné et amoureux de son travail. Jeneme souviens pas du premier gâteau que j’ai fait, mais je sais que j’aimais éplucher les marrons, nettoyer les plats et faire laplonge. Jepermettais aux autres de travailler dans de bonnes conditions. C’est beaucoup plus complexe, il y a tout un cheminement. Quand on est apprenti, on apprend et chemin faisant, on maîtrise. On peut très bien se contenter de cela. Monpèrem’a transmis la curiosité, et la volonté de remiseenquestion m’est venue durantmonservice militairecomme pâtissier du ministrede la Défense, Charles Hernu. Celui-ci était gourmand et farouchement sympathique. Il passait une tête à la cuisineendisant: « Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui? » Je me suis mis à fairedes choses un peu différentes, comme les miroirs au citron… J’étais coincéentre le fait de fairedes choses différentes et celui de me référer à ceque j’avais appris. Il m’a fallu du temps pour continueràm’appuyer sur des bases tout en allant vers des choses audacieuses. En fait, j’étais en train de devenir moi-même.
Quel est, selon vous, l’apprentissage idéal? Ce qui compte avant tout, c’est la motivation. La pâtisserie, c’est un métier de fond, difficile. Il faut aborder ce métier commeon abordedes études classiques. Onpeut se contenter de ce que l’on veut bienvous apprendre; on peut aussi aller vers son chef et lui dire: «Jevoudrais apprendre à faire ceci, est-ce qu’un jour je pourrais faireça?» Il faut faire le tour des pâtisseries, lire, écouter les conversations, goûter… Il s’agit de bâtir sa culture générale, qui donne les atouts pour être créatif. Être créatif, cen’est pas seulement connaître les techniques, les recettes, c’est savoir d’où viennent les matières premières, leur goût et être capable de les analyser. Ce quim’a beaucoup aidé pour le goût, ce sont des cours de dégustation de vin. J’ai appris à mettre des mots surmes émotions et à catégoriser les saveurs.
Comment concilier « haute pâtisserie » et simplicité? C’estmoi qui ai inventé le terme « hautepâtisserie ». Quand nous avons ouvert cetteentreprise avec mon associé, notre ambition était de créer une marque de luxe dans la pâtisserie, ce qui n’existait pas. Ce terme n’apas vocation à être méprisant avec l’existant, c’était une manièredequalifier ce que l’on voulait faire. Comme j’aime bien donner du sens aux choses, je n’aime pas ajouter des artifices dans la décoration. J’ai toujours l’envie d’aller à l’essentiel.
Vos vitrines font saliver, mais tout le monde n’apas les moyens de s’offrir vos pâtisseries? La grosse différenceentre lahaute pâtisserie et la hautegastronomie, c’est que l’accèsest plus facile chez nous. Un macaron, c’est . Jepeux acheter un croissant, un petit gâteau et me faireplaisir. Onpeut avoir une vraie expérience de goût avec un gâteau à .
Qu’espérez-vous apporter aux gens? Moi, il n’y a qu’un truc qui m’intéresse, c’est que quand ils mangent legâteau, ils disent: « C’est bon! » Après, onades émotions et on peut mettre des mots dessus. Dans ce que je mets en forme, j’essaie toujours d’anticiper ceplaisir. Si vous mangez un Ispahan , je sais parfaitement décrire ce que ressentez.
Est-il exact que vous concevez vos recettesd’abordmentalement, puis en les dessinant, avant de faire les premiers essais? C’est vrai. Cette culturedugoût, cettebibliothèquementale, me permettent de fonctionner comme cela. L’autre jour, j’ai eu une idée [il sort son cahier de notes, Ndlr] j’ai marqué « bonbon au citron-chocolat, infiniment chocolat noir » . En y réfléchissant, j’ai vu qu’il y avait deux possibilités: on va vers le parfum du citron noir, ouon va plutôt vers l’aciditéet le parfum après. J’ai donc écrit deux recettes et les ai fait tester. J’ai goûté, j’ai éliminé l’une des deux et j’ai fait des ajustements sur celle que j’ai choisie, mais j’ai eu un échange avec les pâtissiers qui travaillent avecmoi. Ils ont une indépendance de pensée et peuvent m’expliquer leur désaccord. Le chocolat, cela fait partiedes dix grandes matières de la pâtisserie, au même titreque le beurre, la vanille, le sucre, les amandes, la crème, le lait, la farine, lesoeufs. Mais le chocolataune particularité, c’est qu’il est à la fois ungoût et une matière première, avec des propriétés physiques particulières: on peut le manger seul et ilades goûts différents. C’est lamatière la plus difficile à apprivoiser, raison pour laquelle jepensequ’il faut du temps pour faireunbon chocolatier. Avec le temps, on apprend à voir vivre le chocolat, à établir une relation avec la matière. Ça peut paraîtreunpeu subliminal comme notion, mais je vous assureque c’est la réalité.
Sur le goût, des cours de dégustation de vinm’ont beaucoup appris”
La réalité de votremétier aujourd’hui, c’estmaîtrepâtissier ou chef d’entreprise? Je suis pâtissier, mais désormais, je cuisine d’aborddans ma tête. L’un de mes rôles, c’est de donner les moyens à ceux qui travaillent avec moi de faire les meilleurs gâteaux possibles. Cela signifie lesmoyens techniques, les moyens humains et les meilleures matières premières.
Le chocolat est la matière la plus difficile àapprivoiser”
Cela fait quoi d’êtreélumeilleur pâtissier dumonde cetteannée? C’est à la fois un honneur et un bonheur, et c’est une découverte, car jene connaissais pas l’existencede ceprix. Cettenominationavraiment fait plaisir auxgens de lamaison et je crois que cela a renforcé leur fiertéd’appartenance.
Vous venez également d’être désignéparmi les Français les plus influents dumonde. C’est une responsabilité? Je veux bien revendiquer mon influence dans l’univers de lapâtisserie. J’avoueque là je suis un peu embarrassé… C’est bien car cela fait parler de lamaison, mais on ne va surtout rien changer! 1. Biscuit macaron emblématique de Pierre Hermé, à la rose, crème aux pétales de roses, framboises et litchis. 2. Chocolat, Flammarion, 49 €.