La bataille du prédicat
La grammaire est une chanson douce, croyait pouvoir affirmer Erik Orsenna. Il en fit un improbable best seller. Douce? Tu parles. Un sujet dedisputes et de criailleries, aucontraire. L’aimable académicienserait bien inspiré de préparer une suite. On ne voit que lui pour tenter de mettre fin au conflit qui vient d’éclater sur le front scolaire : labataille du prédicat. Le débat a explosé cespremiers jours, aussi brusque et contagieuxqu’une épidémie de grippe en hiver, et tout aussi prévisible au fond. Car venant après la fameusebataille de l’orthographe, la querellede l’enseignement de l’histoire, celle du grec et du latin, et la récenteguéguerrede l’accent circonflexe, il s’agit bien d’un énième épisode d’unmême conflit, toujours recommencé, qui oppose deux conceptions de l’école et met aux prises deux camps. D’un côté, onparle innovation, démocratisation, adaptation de l’école à son public. De l’autre, on dénonce lamédiocratie scolaire, le nivellement par le bas, sous l’influencepernicieuse des pédagogues, ces « apprentis sorciers » de la rue de Grenelle. Deux familles de pensée, qui divisent le monde enseignant commecelui des parentsd’élèves. Et dont les contoursn’épousent d’ailleurspas toujours la frontière gauche-droite. Deux camps aussi irréconciliables que les maisons de Lancastre et de York pendant la guerre des Roses. L’affaireduprédicat leur offreun terraind’affrontement idéal. Lemot est ancien. Son introduction dans les programmes du cycle (CM, CM et date de novembre . Ce qui a relancé lapolémique ? Leblogd’une prof de français s’inquiétant de voir se profiler, sous couvert de simplification, undramatiqueappauvrissement de l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe. Car sous le règneduprédicat, il deviendrait impossible d’expliquer les règles de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Explication. Prenonsune phrase. J’aime les fraises, par exemple. Dans la méthode “tradi”, l’analysegrammaticale donnait ceci : « je », sujet ; « aime », verbe ; « les fraises » complément d’objet direct (CODpour les intimes). Dans la méthode nouvelle : « je » reste sujet ; le reste forme un bloc, le « prédicat », justement, qui contient « ceque l’on dit du sujet ». En l’occurrencequ’il aimeles fraises. Exit le COD. Il paraît que cela va aider les petitsà « sentir » la structurede la phrase. Unpremier niveaud’analyse, assez rudimentaire, supposé adapté à l’entendement d’un enfant deCM. Enattendant qu’il soit confronté– àpartir de la – àces bêtes effrayantes que sont lecomplément d’objet direct, le complément d’objet indirect, lecomplément d’objet second… Précisons bien : leprédicat n’est donc pasdestinéàenterrer les COD, COI et Cie. C’est uneétape. Unmarchepied vers une analyseplus fine, qui surviendraplus tard, quand les enfants seront plus avancés en âge et en connaissance. Soit. Mais toute laquestion est de savoir si onavraiment besoin de ce marchepied, dont les générations précédentes se sont très bien passées. Si le prédicat, supposé simplifier les choses, ne contribue pas à les embrouiller. Etmême, si l’exigencede simplification n’aboutit pasàdévaloriser la notion mêmed’effort, indissociable de l’enseignement. J’écoutais, hier, Michel Lussault, président du Conseil national des programmes, défendrepiedàpied sa réforme, face àdes mères d’élèves outrées, désemparées. Elles ne reconnaissaient plus l’école qu’elles ont connue. Elles craignaient vraiment que leurs petits ne sachent plus lagrammaireet l’orthographe. Lui, répondait sur le tonpéremptoire, vaguement condescendant, de l’expert obligé de se justifier devant des béotiens. Mais en réalité, son seul argument était quecetteméthodegraduelle rendrait les choses plus faciles pour les enfants. Qu’elle leur permettrait d’apprivoiser progressivement des règles en effet très complexes, si complexes que beaucoupd’adultes ne les maîtrisent pas. Tout cela est sans doutevrai. Mais je ne pouvais m’empêcher demedemander ce que serait une école dont on prétendrait éliminer ladifficulté.
« Que serait une école dont on prétendrait éliminer la difficulté... »