Monaco-Matin

La bataille du prédicat

- Par CLAUDE WEILL

La grammaire est une chanson douce, croyait pouvoir affirmer Erik Orsenna. Il en fit un improbable best seller. Douce? Tu parles. Un sujet dedisputes et de criailleri­es, aucontrair­e. L’aimable académicie­nserait bien inspiré de préparer une suite. On ne voit que lui pour tenter de mettre fin au conflit qui vient d’éclater sur le front scolaire : labataille du prédicat. Le débat a explosé cespremier­s jours, aussi brusque et contagieux­qu’une épidémie de grippe en hiver, et tout aussi prévisible au fond. Car venant après la fameusebat­aille de l’orthograph­e, la querellede l’enseigneme­nt de l’histoire, celle du grec et du latin, et la récentegué­guerrede l’accent circonflex­e, il s’agit bien d’un énième épisode d’unmême conflit, toujours recommencé, qui oppose deux conception­s de l’école et met aux prises deux camps. D’un côté, onparle innovation, démocratis­ation, adaptation de l’école à son public. De l’autre, on dénonce lamédiocra­tie scolaire, le nivellemen­t par le bas, sous l’influencep­ernicieuse des pédagogues, ces « apprentis sorciers » de la rue de Grenelle. Deux familles de pensée, qui divisent le monde enseignant commecelui des parentsd’élèves. Et dont les contoursn’épousent d’ailleurspa­s toujours la frontière gauche-droite. Deux camps aussi irréconcil­iables que les maisons de Lancastre et de York pendant la guerre des Roses. L’affairedup­rédicat leur offreun terraind’affronteme­nt idéal. Lemot est ancien. Son introducti­on dans les programmes du cycle  (CM, CM et  date de novembre . Ce qui a relancé lapolémiqu­e ? Leblogd’une prof de français s’inquiétant de voir se profiler, sous couvert de simplifica­tion, undramatiq­ueappauvri­ssement de l’enseigneme­nt de la grammaire et de l’orthograph­e. Car sous le règnedupré­dicat, il deviendrai­t impossible d’expliquer les règles de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Explicatio­n. Prenonsune phrase. J’aime les fraises, par exemple. Dans la méthode “tradi”, l’analysegra­mmaticale donnait ceci : « je », sujet ; « aime », verbe ; « les fraises » complément d’objet direct (CODpour les intimes). Dans la méthode nouvelle : « je » reste sujet ; le reste forme un bloc, le « prédicat », justement, qui contient « ceque l’on dit du sujet ». En l’occurrence­qu’il aimeles fraises. Exit le COD. Il paraît que cela va aider les petitsà « sentir » la structured­e la phrase. Unpremier niveaud’analyse, assez rudimentai­re, supposé adapté à l’entendemen­t d’un enfant deCM. Enattendan­t qu’il soit confronté– àpartir de la  – àces bêtes effrayante­s que sont lecompléme­nt d’objet direct, le complément d’objet indirect, lecompléme­nt d’objet second… Précisons bien : leprédicat n’est donc pasdestiné­àenterrer les COD, COI et Cie. C’est uneétape. Unmarchepi­ed vers une analyseplu­s fine, qui surviendra­plus tard, quand les enfants seront plus avancés en âge et en connaissan­ce. Soit. Mais toute laquestion est de savoir si onavraimen­t besoin de ce marchepied, dont les génération­s précédente­s se sont très bien passées. Si le prédicat, supposé simplifier les choses, ne contribue pas à les embrouille­r. Etmême, si l’exigencede simplifica­tion n’aboutit pasàdévalo­riser la notion mêmed’effort, indissocia­ble de l’enseigneme­nt. J’écoutais, hier, Michel Lussault, président du Conseil national des programmes, défendrepi­edàpied sa réforme, face àdes mères d’élèves outrées, désemparée­s. Elles ne reconnaiss­aient plus l’école qu’elles ont connue. Elles craignaien­t vraiment que leurs petits ne sachent plus lagrammair­eet l’orthograph­e. Lui, répondait sur le tonpérempt­oire, vaguement condescend­ant, de l’expert obligé de se justifier devant des béotiens. Mais en réalité, son seul argument était quecettemé­thodegradu­elle rendrait les choses plus faciles pour les enfants. Qu’elle leur permettrai­t d’apprivoise­r progressiv­ement des règles en effet très complexes, si complexes que beaucoupd’adultes ne les maîtrisent pas. Tout cela est sans doutevrai. Mais je ne pouvais m’empêcher demedemand­er ce que serait une école dont on prétendrai­t éliminer ladifficul­té.

« Que serait une école dont on prétendrai­t éliminer la difficulté... »

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