« Unpersonnage de transition »
L’historien Alexandre Adler analyse ( 1) auplus près les raisons de l’élection de Donald Trump et envisage surtout les conséquences de sa politique. Quelles sont les chancesde réussite de ce « Danton de fête foraine » ?
L’avènement de Trump, c’est la conséquenced’unpeuple abandonnéetméprisé ? Oui, c’est d’abordet avant tout cela. Il suffit de voir les états qui se situent à l’ouest de NewYork et à l’est de San Franciscopour constaterquiavotéTrump : cesont les ouvriers et le petit peuple américain, qui ont bâti la révolution industrielle américaine, notamment dans le MiddleWest, autour de l’automobile et de la sidérurgie, et qui ont eu le sentiment d’avoir étéabandonnés. Cettecolèreaété capturée par Trumpavec beaucoup de talent, il faut bien le dire, et pas mal de folie.
Quel est son talent ? C’est le talent d’un entrepreneur en bâtiment, qui n’est pas un génie dans ce domaine mais qui sait parler aux ouvriers depuis toujours. Il les connaît et a su mêler touteune rhétorique réactionnairebien connue avec des thèmes de protestation sociale, de sentiment d’abandon et de mépris. A l’origine, cesont plutôt les thèmes d’un MichaelMoore, exprimés par une gauche minoritaire. Mais c’est le mélange des deux, et ce culot incroyable, qui ont provoqué l’alchimie qui a tout précipité. Cettechose extraordinairesonne le discrédit du vieux parti Républicain, ensuite celui de Clinton et des Démocrates modernistes.
Raison pour laquelle vous fustigez les intellectuels et les artistes qui ont méprisé ces classesmoyennes ? C’est absolument évident. Quand on voit la manièredont une certaine élitenew-yorkaise ou californienne considèreau fond le petit peuple Blanc commedes cons qui n’ont pas su prendre le train de la modernité, et qui exprime une espècedesuffisancequi s’accompagne d’une prospérité très grande, oncomprend l’agacement et l’irritation qui se sont emparés du peuple. Ce n’était pas lecas avec les intellectuels et les artistes de l’époque de Roosevelt.
Ce constat est-il, selon vous transposable en France ? Jusqu’à un certain point, mais nous n’en sommes pas tout à fait là. D’abordparce qu’ilyaunEtat providenceet une fonction publique qui sont plus forts, ensuiteparce qu’ilyades idées de gauche qui suscitent une plus grande adhésion, mêmesi Marine Le Penaréussi son opération dans le nordde laFrance. Ilyabeaucoup de choses qui sont comparables mais elles n’ont pas, mesemble-t-il, lamêmeintensité. Pourquoi selon vous, entermes de politique étrangère, est-ce l’attitude de Donald Trump envers leMexiquequi apparaît la plus préoccupante ? IlyaauMexique et autour une centaine de millions de personnes qui ne sont pas des latinoaméricains commeles autres. Le Mexique n’apas connu le servage, ni le pillage. C’est un pays discipliné, avec un état dedroit et un sentiment très égalitaire, notamment de la part de tous ces mexicains d’origine indienne. Ils savent qu’ils font partie intégrante de la nation. De fait, ils ont constitué une communauté nationale qui n’était pashostileaux Etats-Unis. Dans les années , le Mexique de gauche a fait bon ménage avec l’Amérique de droite. Aujourd’hui, leMexique est en crise mais il n’est pas prêt à accepter le discours incendiaireet méprisant de Trump. Onseprépare à lanaissanced’unmouvement des droits civiques latino-américains, aux Etats-Unis, porté par des gens qui veulent fairepartie des USA. Trumples a insultés d’une manière tellement radicale et définitiveque cela nemesemblepas rattrapable. Par ailleurs, en ayant fait à laChine le cadeau d’une allianceavec le Japon, Trumpfacilite l’unitéd’un bloc asiatique qui va faire jeu égal avec les Etats-Unis. Ce sont les deux grands problèmes de politique étrangère. Si, de leur côté, les Européens parviennent à s’entendre, notamment avec Poutine, la situation ne serapas bonne pour l’Amérique. L’accumulation de cesproblèmes peut rapidement remettreencause la présidencedeTrump.
Quelle sera laprochaine étape ? Après ce Danton de fête foraine, l’Amérique devrase trouver un hommefort. Mais je ne pense pas non plus que Trumpva faire faillite dans la minute, et je ne pense pas que tout ce qu’il propose aujourd’hui soit absurde. Unpeu de protectionnisme, une politique industrielle plus marquée, unrepli des Etats-Unis sur leurs intérêts nationaux, au sens strict du terme, ce sont des choses qui ont commencésous Obama. Il n’en demeurepas moins que les excès du nouveauprésident peuvent conduireàune fatigue très importante. Trumpest un personnage de transition qui inaugure une nouvelle Amérique. Il sera rejoint par ses erreurs, mais il auraengagé le pays vers une nouvelle direction, que d’autres iront compléter. 1. « La Chute de l’empire américain » (Grasset) 122 pages, 13 euros