Les souvenirs d’un matelot en opération extérieure
Vingt ans après son engagement dans les eaux du Golfe Persique, dans le cadre de l’opération Daguet, cet ex-matelot lorguais (Var) fait pénétrer dans les arcanes d’une mission classée secret Défense
On signe où? » Lorsqu’en 1997 Alexandre Christine s’engage pour un service longdans la Marine, il rentred’une première mission en Méditerranée orientale, entreGrèce, ex-Yougoslavie et Croatie. Comme le veut l’image d’Épinal liée à l’armée, le jeune Lorguais veut « voir du pays ». « La première expérience m’avait plu. J’étais célibataire. Je me suis porté volontaire pour repartir », indique-t-il, à l’orée de recevoir le Drapeau des opérations extérieures au nom de la Section 510 de Lorgues. Alors qu’aujourd’hui Alexandreentame un tournant dans sa vie professionnelle, le film repasse devant ses yeux. C’était il y a vingt ans. Embarquement à bord de la frégate de chasse anti sous-marine La Motte-Picquet, dont les 139 mètres s’élancent de Toulon à une vitesse de 30 noeuds pour fairedu renseignement dans les eaux du Golfe Persique. À l’arrivée sur le théâtre de l’opération Daguet, le décor est chargé… Escadrons de F-117 Nighthawk au profil en pointe de flèche qui lézardent les airs, surpuissant USS Nimitz revenu des enfers depuis le film avec Kirk Douglas, geysers de puits de pétroles en feu à l’horizon, encombrements de bâtiments internationaux en opération… Pas de doute, « c’est la guerre ». « Là, je me trouve projeté dans un autre univers. Après chaque sortie sur le pont, il faut passer au sas de décontamination. Un rituel pour éliminer les résidus liés aux armes chimiques… On portait des masques… Il y avait de la radioactivité à bord… », se souvient Alexandrequi, à saconnaissance, ne garde aucune séquelle de ce terrible cocktail en suspension. Dans les coursives, régulièrement tombent des messages classés secret Défense. Certains sont signés Jacques Chirac. « La consigne était de ne surtout rien direànos familles àpropos de la situation sur place. Pour le coup, il y avait un vrai décalage entre ce qu’on vivait et les informations re- layées au pays », raconte l’ex-matelot varois qui n’échappe pas aux épisodes de sueurs froides. « Une nuit, nous avons reçu en cascade des messages d’alerte au sujet d’un bâtiment non-identifié qui avait pénétré les eaux de la coalition. Soit il stoppait, soit les Américains le coulaient. C’était angoissant, d’autant que j’étais à la barre! », explique- t- il, avant d’annoncer un dénouement sans bobo. Au cours de tous ces mois en mer, Alexandre apprend rapidement que l’« ennemi » est aussi intérieur… « Quand on se retrouve à plus de 200 personnes entassées, on doit faire face aux diverses tensions que suppose la vie en milieu confiné. Une fois, un officier a tiré sur un autre gradé qui a dû être héliporté d’urgence. Je ne sais pas ce qu’il est devenu… Il y a aussi tous les vols… Les bagarres… ». Au point de craindre plus pour sa vie à bord qu’à l’extérieur? « Oui clairement! Nous côtoyions des matelots qui étaient des cas sociaux en réinsertion. Pour eux, c’était ça ou la prison. Alors parfois, il fallait se méfier des règlements de comptes… » L’aura de danger estomniprésente. Que ce soit dans les escales à terre et une population qui jauge ces « envahisseurs », ou les rencontres avec des gros bras de la Légion, toujours prêts à une virée pour tester leur arsenal. De DubaïàDoha ou Djibouti, Alexandre ne dira pas tout de ses escales, des officiers aux familles de substitution dans chaqueport, etc. Mais lorsqu’il rentreàToulon, six mois plus tard, il veut bel et bien s’engager. « J’étais parti pour être marin. Ma demande a été refusée. Plus de recrutement… » Pas de temps mort, le grand gaillardde1m92enchaînera dans la sécurité avant d’être technicien chez Pierres & Vacances, les casinos Barrière, puis fonder sa société de Segway en 2015 à SaintTropez. Hélas, le 14-Juillet niçois passera par là. Et avec lui, le flop touristique qui l’obligera à fermer boutique en fin de saison 2016. De retour sur Lorgues, où il s’investit au sein de l’Union nationale des combattants (UNC), il cherche de- puis un poste de régisseur dans les métiers du spectacle.
génération du feu
« Alexandre fait partie de la 4e génération du feu. Celle assez rare des Opex varois. Il a l’âme patriotique et je suis heureux de voir qu’il s’investit pour assurer la continuité de notre mission », note Yves Perrot, président de la section 510 de Lorgues. « J’ai aimé défendremon pays. À aucun moment, je ne me suis senti manipulé. Le retour du service obligatoire serait une bonne chose. Ça recadre et donne d’autres perspectives », conclut, regard sabre au clair, le jeune « ancien combattant ».
L’autre danger : l’ennemi intérieur...” Des messages signés Chirac”