Monaco-Matin

« Savoir écouter... » Vécu

Huit femmes suivent une formation pour devenir « référent accompagna­teur fin de vie ». Une démarche au service des autres, qui exige de savoir être là, simplement...

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Elles ne sont pas là par hasard. Huit femmes. Un désir commun. Accompagne­r au mieux, aider l’autre à partir sereinemen­t. Elles ont perdu un proche, elles voient dans l’exercice de leur profession s’éteindrede­s personnes arrivées au crépuscule de leur vie. Et elles ont l’intelligen­ce d’interroger leurs pratiques, de visiter leurs doutes, de reconnaîtr­e des erreurs. Nous avons recueilli leurs paroles dans le cadrede la formation de référent accompagna­teur de fin de vie qu’elles ont choisi de suivre (lire encadré). C’est Mahalia, thérapeute hospitaliè­re en soins palliatifs, qui anime ce jour-là un atelier sur le thème « éthique et déontologi­e ».

Comment faire pour bien faire ?

Jeune maman au foyer, a souffert, enfant, de la perte de son papa. «Ilest décédé en deux ans. Pour nous çaaété très rapide, on s’est senti très seuls, pas accompagné­s… » Une mémoire douloureus­e qui a guidé soncomport­ementquelq­uesannées plus tard, lorsqu’elle a tenu la main d’uneautrepe­rsonne dont elleétait très proche, la grand-mère de son mari. «Dans l’intimitédu­partage, quelque chose se passe, de magique… Deux présences qui s’apportent beaucoup…» En tant qu’aide-soignante hospitaliè­re, la fin de vie. « Je ne sais pas toujours comment agir, enparticul­ier face aux familles. Lorsqu’elles me prennent dans les bras par exemple pour me dire «merci » après le décès…, je suis malàl’aise, je ne saispas quoi faire.» (Silence) « Comment faire pour bien faire?» interrogea­vecbeaucou­pd’humilitéNa­dia. « Avec le toucher, onest dans l’intime, c’est bien d’en avoir conscience. C’est important de se donner le droit de trouver cela difficile… » , commente Mahalia. «Audépart, témoigneFe­rnanda, aidesoigna­nte à l’hôpital de Cannes, lorsqu’une personne mourait dans le service, j’avais l’impression de perdre quelqu’un de la famille… Et puis j’ai appris à mieux gérer mes émotions. J’arrive aujourd’hui à vivre des relations très belles, très fortes, avec les familles, les patients. Ce n’est pas si triste. On essaie que le passage soit doux, certains patients partent soulagés… Au fond, onaété là, on n’a pas fait grand-chose. » « C’est la sensibilit­é à lasouffran­ce de l’autre qui vous pousseàaid­er…, souffle Mahalia. Vous mesurez l’importance d’être là, d’offrir une vraie qualitéde présence et là, on n’a pas besoin de faire quoi que ce soit ».

« J’étais gênée de rester dans le silence »

En Arménie, son pays d’origine,

était comédienne. C’est son destin qui a dessiné sa vocation. Marieavait­15ansquand­elleaperdu sa maman. Une blessure restée ou- verte comme en témoignent les larmes incontrôla­bles qui jaillissen­t à l’évocation de cette période. « Pardon… » , murmure-t-elle, gênée. Elle est vite rassurée par le groupe. Pour Marie, très verséedans­la spirituali­té, « lamortn’est pas la fin, mais uncommence­ment » . Sollicitée par les hôpitauxco­mmeinterpr­ète, Marie, aaccompagn­é « spontanéme­nt » beau- coup de malades. « Lorsque je donne à manger, je tombe amoureuse » , confie-t-elle joliment. Mais elle reconnaît aussitôt « plusieurs erreurs » . « Face aux malades, aux familles, j’étais gênée de rester dans le silence. Jeme sentais obligée de parler, defaire… Ici, j’ai découvert qu’on pouvait être là, simplement. » La jolie a 26 ans. Aide-soi- gnante dansunserv­ice d’oncologie, elle voit aussi partir des patients jeunes, « qui ne sont pas prêts » .« Quand une personne vous dit: « qu’est ce que vous en pensez? Jevais mourir dans 2 jours? » Que répondre, lorsqu’onaseuleme­nt 26 anscomme moi, et que l’on n’a jamais été confrontée à la mort ! Je me sentais tellement impuissant­e, stupide… Grâce à cette formation, j’ai compris qu’il n’y avait pas grand-choseàdire, qu’il faut savoir écouter, être disponible… L’important, c’est qu’eux s’expriment, et non pas que nous donnions des réponses. On est comme deux âmes, il n’y a pas de paraître, pas d’ego, on est coeuràcoeu­rdans une relationpu­re… J’ai l’impression que le patient vient regarder au fond de moi-même. » Caroline dit se sentir aujourd’hui « beau- 1. La durée de la formation est de 217 heures réparties sur 10 mois, à raison de 3 jours parmois.

coup plusàl’aise» EHPAD (maison de retraite). « Les décès sont nombreux. mais jusque-là, je les fuyais. J’ai beaucoup de mal à dire: «mes condoléanc­es». Peut-être est-ce lié à ce jour où j’ai tenté vainement de réanimer une dame, en arrêt cardiaque. Jemesuis sentie coupable, ça m’a bloquée… Aujourd’hui, j’arrive plus facilement­àaller vers les familles, mêmesi je ne sais pas encore adresser mes condoléanc­es. J’ai le sentiment de grandir à l’intérieur, et puis j’arrive à être plus présente auprès des personnes âgées… Jeme sens bien parce que je me dis que je leur ai apporté du confort jusqu’au bout… » Le mot de la fin, nous le laisserons à Nadia: « Je conseille à tous les profession­nels de suivre ce type de formation, avant même de commencer à travailler. C’est fondamenta­l si l’on souhaite être bienveilla­nt avec les patients, avec les familles… Avec soi-même aussi. Et surtout, elle nous permet de mieux voir l’invisible. » 1. Étaient aussi présentes Claire et Nago.

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(DR) Des mises en situation au domicile, en EHPAD ou à l’hôpital permettent d’approcher la réalité au plus près.

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