La recetteduquatre-quarts
Il se fait ces temps-ci en Francegrand usage de « je ». Les candidats, n’ont que ce mot à labouche. Je ferai ceci, j’abrogerai cela. J’augmenterai le smic, jebaisserai les impôts, je refonderai l’Union européenne, jemarcherai sur l’eau, je changerai le plomb en or… Une seule forme: lapremière personne du singulier. Un seul temps: le futur. Le Roi Soleil était plusmodeste. Tous tout-puissants (y compris ceux qui ne cessent par ailleurs de dénoncer les méfaits de l’hyperprésidence). Commes’il n’yavait qu’à décréter. Commesi la Franceétait une page blanche et les annéesàvenir, une ardoise magique où il suffit de lister ses projets pour qu’ils se réalisent. Lesprétendants à l’Elysée n’oublient qu’une chose, oh, un simple détail: c’est que pour mettre ce programmeen oeuvre, il faut avoir unemajoritéetun gouvernement disposés à l’appliquer. Sur ce chapitre– pas celui du « que faire » ?, mais celui du « comment faire? » –, onne les entend pas. Commesi la chose allait de soit: avec l’instauration du quinquennat, les législatives seraient une formalité. Il suffirait de gagner la présidentielle pour disposer derrière d’unemajoritéparlementaireautomatique. Eh bien, c’est très loin d’êtreévident. Ce ne l’était pas hier: Hollande n’apas réussi à rassembler durablement, ni dans le pays, ni à l’Assemblée, ni au gouvernement, les forces qui avaient concouruàson élection. Ce futundeses grands échecs. Il seraencoreplus difficile– voire impossible – pour le futur président d’avoir unemajoritéàsa main. Pour la bonne raison que la Francen’est plus coupéeendeux, nimêmeen trois, commeon le dit, mais en quatre. La recetteduquatre-quarts français, c’est: La gauche de la gauche, allant du PC aux frondeurs du PS, aujourd’hui partagés entre Mélenchon et Hamon. Le centregauche. Usé par les années Hollande, il a été battu à laprimairemais n’a pas pour autantdisparu du paysage, une grande partie de ses électeurs s’étant tour- nés vers Macron. La droite classique, UDI et Républicains, qui pèse plus lourd que ne l’indiquent les sondages de Fillon, abîmé par « l’affaire ». La droitenational-populiste de Marine Le Pen. Quatreblocs de tailles comparables, entre et % des voix. C’est ce qui explique que l’élection de mai soit la plus illisible qu’on ait connue. Et cela rend très aléatoire l’hypothèse d’une majoritéparlementairehomogène, quel que soit le vainqueur de la présidentielle. C’est particulièrement vrai de marine Le Pen: on voit mal que le FN, sans alliés, puisse passer de députésà . D’où les appels du piedàGuaino ou Dupont-Aignan. Jusqu’ici infructueux. Si le parti du président n’avait pas lamajoritéauParlement, on entrerait alors dans le jeu des alliances. Donc des compromis programmatiques. Ce qui est plus ou moins la norme en Europe, oùdixneuf pays sur vingt-sept ont des gouvernements de coalition. C’est là que les choses se corsent. Car entre les quatre forcesenprésence, les combinaisons possibles ne sont pas si nombreuses. Une coalition de la droiteet de l’extrême-droite? Quasi impensable, pour des raisons stratégiques et idéologiques. Cela ferait exploser LesRépublicains. Une alliance de toutes les gauches, remakede la « gauche plurielle » de Jospin? Difficile, ausortir des années Hollande. Unemajoritéde « troisième force », rassemblant la droite de la gauche et la gauche de la droite? C’est le pari – implicite– deMacron. Une conséquencepossiblede la montée des extrêmes. Mais une configuration inédite, dont on ne peut diresi elle serait viable. Arrêtons là les spéculations. Nul ne sait sur quoi débouchera cette folle campagne– pasmêmeles protagonistes qui prétendent écrire l’avenir à lapremièrepersonne. Tout de même, onaimerait bien les entendresur le sujet, et qu’ils nous donnent leur recettedu quatre-quarts.