Balle au centre
« Si ni la gauche, ni la droite ne font l’affaire, les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir essayer autre chose. »
Emmanuel Macron peut-il briser le plafond de verre ? Vaincre lamalédiction du centre? C’est la question qui est désormais posée, l’alliance entre Enmarche! et leMoDem faisant de lui, de fait, l’héritier du centrisme à la française, cet éternel cocu de la Ve République. Non que cette famille politique ait jamais disparu. Lorsqu’elle est allée à la présidentielle sous ses propres couleurs (Lecanuet, Poher, Bayrou), elle a souvent fait bonne figure. Qualifiée pour le second tour en , frôlant la qualification en . Mais au bout du compte broyée par le système électoral et institutionnel : l’électionduprésident de la République au suffrage universel et son implacable second tour, qui oblige à être dans un camp oudans l’autre. C’est ainsi que le centre, épicentre de toutes les combinaisons gouvernementales sous la IVe, a fini par devenir sous la Ve (ou aurait pudevenir, sans l’orgueilleuse obstination de François Bayrou) une simple force d’appoint de la droite, justifiant la cruelle formule de Mitterrand : « En France, le centre
n’est ni de gauche, ni de gauche » . Ce qui était impossible hier – la victoire du centre, aussi improbable que de voir une pièce lancée à pile ou face s’arrêter sur la tranche – serait-il possible aujourd’hui ? Les sondages suggèrent que oui. À vérifier… Macron a pour lui sa jeunesse, sa « fraîcheur ». Contre lui son inexpérience des campagnes et un don certain pour la gaffe. Pour lui, son émancipation à l’égard des partis traditionnels. Contre lui, la coalition des mêmes, déterminés à chasser l’intrus, et lemanque de poids lourds dans son entourage. Pour lui, l’espace dégagé par les primaires, qui ont droitisé la droite et gauchisé la gauche. Contre lui, une propension à se réfugier dans le clair- obscur pour ne froisser personne, et qui finit par en agacer beaucoup. Surtout, il a pour lui l’usure, l’épuisement du modèle alternatif gauche/droite dont les mouvements de balancier rythment la vie politique française. Songez – le cas est unique en Europe! – que depuis , la France a connu sept alternances. Sept « changements » célébrés avec emphase, suivis d’autant de déceptions, comme si la victoire d’aujourd’hui annonçait déjà la défaite à venir. Il ne faut pas chercher plus loin l’explication de la montée des extrêmes et de la tentation centriste : si ni la gauche, ni la droite, décidément, ne font l’affaire, les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir essayer autre chose. Et les « autres choses », les solutions inédites, il n’y en a pas trente-six : c’est l’extrême droite, ou c’est un gouvernement de coalition, passant forcément par le centre. Précisément cette configuration que la Ve rendait impossible. Que les partis de droite et de gauche n’ont eu de cesse de combattre – alors que de sondages en sondages, une majorité de Français s’y déclarent favorables. Elle pourrait demain s’avérer incontournable, avec lamontée du FNet la fin de l’hégémonie des partis dits de gouvernement (Hamon et Fillon, autrement dit PS et Républicains, ne totalisent aujourd’hui qu’un tiers des intentions de vote et risquent d’être tous deux éliminés au premier tour). Où l’on voit que ce n’est pas seulement le destin de Macron ou du centre qui est en jeu le avril : ce scrutin pourrait marquer la fin du modèle bipolaire en vigueur depuis un demi-siècle et déboucher sur un changement radical des paramètres qui règlent la vie politique française : nouvelles alliances, nouvelles pratiques institutionnelles. Cela s’appelle une recomposition.