Académie : le Toulonnais Brunetière préféré à Zola
Le 8 juin 1893 a lieu une élection à l’Académie française. Il convient de remplacer, au fauteuil numéro 28, l’écrivain John Lemoinne, mort en décembre 1892. L’événement est d’importance car Émile Zola est candidat. C’est la dixième fois qu’il se présente ! Il a beau être connu et avoir publié la série des romans de société des Rougon-Macquart où l’on trouve L’Assomoir et Germinal, il n’arrive pas à être élu. Cette fois, pense-t-il, ce sera la bonne ! Il ne fera qu’une bouchée de ses adversaires nommés Brunetière, Fouquier et comte de Cosnac. Il a le soutien d’Alexandre Dumas en personne. Bref, les choses se présentent bien. Pourtant, le résultat arrive comme un assommoir. Une nouvelle fois, il n’est pas élu. Il n’a obtenu que… quatre voix ! L’élu, désigné dès le premier tour, est Ferdinand Brunetière. Tant pis ! Zola se présentera à nouveau. Il tentera sa chance… neuf autres fois, et ne sera jamais élu – même après avoir écrit son fameux « J’accuse » lors de L’affaire Dreyfus !
Qualifié de pisse-froid
Qui est donc ce Ferdinand Brunetière qui l’a fait tomber lors de sa dixième tentative ? Un écrivain né à Toulon le 18 juillet 1849, connu comme historien de la littérature et l’un des critiques littéraires éminents du XIXe siècle. Son père était inspecteur général de la Marine à Toulon. Une enfance sans problème. Un goût pour la littérature affirmé dès sa jeunesse. Une ascension à Paris avec, en 1875, une collaboration à la Revue des deux mondes, dont il deviendra le directeur en
Ferdinand Brunetière (à gauche) a battu Zola (à droite) lors de l’élection à L’Académie française.
1893. Nommé profes seur à la Sorbonne, il donne des conférences jusque dans les universités américaines. Catholique affirmé, il se fait remarquer par ses positions conservatrices sur la littérature. Il s’oppose à des écrivains en vue comme Flaubert, Maupassant, ou, bien sûr Zola, dont il dénonce les « crudités révoltantes et malsaines qu’il semble prendre plaisir à prodiguer dans ses romans ». L’une de ses cibles principales est Baudelaire. Il proteste contre les « odeurs de corruption savante et de perversité» qui se dégagent de ses Fleurs du mal. Il s’insurge contre un projet de monument à Baudelaire. Le journal Le Temps (équivalent du Monde aujourd’hui) tire à boulets rouges contre lui : « Brunetière est un pisse-froid. Il ne supporte pas que des écrivains marchent sur la tête comme des clowns. Nous l’informons, si par hasard il ne s’en doutait pas, qu’il a beaucoup d’ennemis implacables, car il a osé parler en termes dédaigneux de Baudelaire et écrire que Ruy Blas de Victor Hugo n’était pas un modèle de drame. »
La revanche posthume de Zola
Durant l’Affaire Dreyfus, il prend une étrange position d’« antidreyfusard mais non antisémite » ! Son Manuel d’histoire de la littérature française, paru en 1898, le fait connaître dans l’Europe entière. « La langue est un théâtre dont les mots sont les acteurs », dit-il. Les mots, il sait les mettre en scène. Une rue à Paris et une à Toulon portent son nom. Mort en 1906, il n’aura pas pu assister à la revanche posthume de son ennemi Zola : l’entrée de ses cendres au Panthéon en 1908. La décision a été prise par la Chambre des députés le 13 juillet 1906, au lendemain de l’annulation par la Cour de cassation de la condamnation d’Alfred Dreyfus. Le transfert des cendres de Zola donna lieu à des manifestations nécessitant l’intervention de la police. Le journaliste Louis Grégori, disciple de Brunetière, tira un coup de feu sur Dreyfus en personne, qui fut blessé au bras. Le monde de la littérature n’est pas de tout repos !