Nice : La République
À Nice comme ailleurs en France sont créés à La Révolution des comités qui veillent à l’application des doctrines républicaines. Celui de Nice s’autodétruira le 1er mai 1795.
Quinze mille hommes tra versent le Var le 28 septembre 1792 sous la direction du général Anselme, et voilà Nice envahie par la Révolution et rattachée à la France. Les troupes sardes, commandées par le général Thaon de Revel, n’ont rien pu faire pour contenir l’assaut des Français. Jusqu’alors Nice faisait partie du royaume de PiémontSardaigne. La municipalité était dirigée par des consuls, l’administration était placée sous l’autorité d’un représentant du roi, et le pouvoir judiciaire exercé par le Sénat. En quelques jours, les responsables de ces institutions ont fui. Une administration doit donc s’organiser en urgence. Dans le petit palais baroque qui abrite l’hôtel de ville, situé sur l’actuelle place Saint-François, des changements s’opèrent à toute allure. L’ancien consul de France à Nice, un certain Le Seurre, est nommé provisoirement au poste de maire. L’avocat Pauliani prendra sa suite lors des élections de décembre.
Barras crée la Société populaire
Mais à Nice comme dans beaucoup de villes de France, on se méfie de la façon dont les principes républicains seront appliqués. Alors se forment des clubs révolutionnaires qui, composés de citoyens, vont surveiller l’action des hommes politiques et de l’administration. À Nice, les choses ne traînent pas. Dès le 2 octobre 1792, le redoutable révolutionnaire varois Paul Barras vient sur place et crée une Société populaire. Elle se réunit dans l’ancienne église des Dominicains, beau bâtiment Renaissance à chapiteaux antiques, qui sera détruit en 1883 pour faire place à l’actuel palais de Justice. À la tête de cette Société ont été placés deux « experts » venus de Grasse, cité qui, à l’époque appartenait au département du Var. Ce sont deux commerçants nommés Étienne Vidal et Joseph Maubert, qui ont déjà constitué un tel comité dans leur ville, affilié au Club des Jacobins de Paris. Tout commence dans l’enthousiasme des lendemains qui chantent. Tout le monde s’appelle « frère ». Compte-rendu de la séance inaugurale du 2 octobre 1792 : « Le frère Vidal a ouvert la séance à trois heures de l’aprèsmidi. Il a commencé par faire lecture des Droits de l’homme et du citoyen. Le frère Maubert a ensuite prononcé un discours qui respirait le patriotisme... Le frère Vidal a prononcé la formule du serment : “Je jure d’être fidèle à la nation et à la loi, de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant, de défendre les personnes et les propriétés, de dénoncer les traîtres à la patrie et les conspirateurs contre le bien public, de défendre de ma fortune et de mon sang ceux qui auront le courage de faire de telles dénonciations et de me soumettre aux règlements de cette société.” Tous les membres présents se sont levés et en tendant les mains ont prononcé les mots “Je le jure”.
Le premier baptême civil
Voilà donc lancée la « Société populaire » niçoise. Partout est donné l’ordre d’afficher dans les édifices publics la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », qui date de 1789. Les Niçois parlant français étant peu nombreux, le texte est traduit « en langue italienne et vulgaire », ainsi que le préconise un arrêté municipal. Partout fleurissent des affiches invitant à la « fraternité ou la mort ». La Société populaire niçoise va se réunir presque quotidiennement pendant plus de deux ans et demi. Compte-rendu de la séance du 3 octobre 1792 : « Le frère Dagobert a proposé de demander le bâton de maréchal pour le général Anselme. Le général Anselme a alors répondu qu’il n’était qu’un simple soldat français, que le seul bâton qu’il ambitionne est d’être digne d’un homme libre et de mériter la confiance de ses concitoyens, qu’il serait trop heureux de verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la cause qu’il avait embrassée. » Le 24 octobre 1792, la Société célèbre son premier baptême civil : « On a présenté un nouveau-né à la barre de l’assemblée. Le parrain et la marraine ont juré pour cet enfant de maintenir la liberté et l’égalité et les parents de l’élever dans l’esprit du républicanisme ».
Un Toulonnais menacé pour sa libre-pensée
L’ordre public est au programme de la séance du 16 octobre : « Un de nos frères appelle l’attention de la Société sur les désordres qui se propagent dans la ville. Il a proposé d’envoyer une députation au général d’Anselme pour l’inviter à établir une cour martiale. » Et voilà que les décisions deviennent plus politiques. Le 29 novembre 1792 une motion est votée à Nice « pour obtenir la délivrance des déserteurs, contrebandiers et de ceux qui, pour cause de patriotisme, se trouvent depuis longtemps enfermés dans les galères de Villefranche. Il faut libérer ceux qui n’ont fait d’autre crime que de n’avoir pas courbé la tête devant les lois injustes et arbitraires du ci-devant tyran roi de Sardaigne. » Le 7 septembre 1793, les demandes vont crescendo : motion est prise « pour faire changer les noms des rues qui tiennent encore à l’ancien régime, faire changer le nom des saints et les remplacer par des noms républicains et de grands hommes ou des martyrs de la Révolution ». Des clubs républicains créés dans d’autres villes s’associent à la Société niçoise. C’est le cas de la Société Brutus de Cannes, qui, le 23 octobre 1793, envisage de transformer les noms des îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat en île Marat et île Le Pelletier, du nom des deux députés révolutionnaires qui sont morts assassinés – le premier dans sa baignoire, comme l’on sait – et qui ont été considérés comme des « martyrs de la Révolution ». La « chasse aux sorcières » commence.