Une visite guidée entre Histoire et petites histoires
«On a la plus belle clientèle du monde. Tous les plus grands rêvent d’avoir une place dans la vitrine (...) Les anciens ne nous ont pas laissé une coquille vide mais il n’y avait pas l’exigence d’aujourd’hui. On avait l’habitude de vendre sur n’importe quelle demande. Il a fallu sélectionner les produits à vendre et ceux à inscrire dans le long terme. La sélection est une recherche incessante de nouveautés. Tout est acheté directement aux domaines, donc la traçabilité est garantie à 300 %.» Le tableau dressé par Gennaro Iorio, la visite des caves débute par l’espace livraison, face à la salle de réception actuelle du prince Albert. Sous la protection d’une statuette de Saint-Vincent, saint patron des vignerons, de vieilles charrettes vides soufflent. « Il n’y a pas voiture au monde qui ait fait plus de kilomètres!», plaisante Gennaro près d’une vieille visseuse de capsules. Hormis les Bordeaux, rangés par millésime en tête de gondole de la première galerie, tout est classé par région. Un sentier dans les vignes qui aboutit sur une légende. Celle du caveau princier protégé du pillage nazi par une ruse pourtant fragile. Autrefois exclusivement réservé aux événements de la famille princière, comme les vingt ans de mariage de Rainier et la princesse Grace, l’espace est aujourd’hui le refuge d’un stock princier éloquent. «À part à la Tour d’Argent peut-être, il n’y a pas d’endroit qui peut proposer ces vins-là avec une telle traçabilité», avance Patrice Frank en pointant des Château Margaux 1929, 1961 ou 1 957. Des trésors olfactifs et gustatifs antérieurs aux années 60 et retirés volontairement de la vente. «On a pris le luxe de pouvoir dire non à certaines clientèles qui créent un buzz en les achetant», se félicite Gennaro. Autant de lots sauvés sous l’Occupation par « sept épaisseurs de casiers de bouteilles vides utilisées pour boucher le tunnel ». Derrière ce mur de verre, « de vieux millésimes, des eauxde-vie, de l’argenterie de l’Hôtel de Paris et un noble russe qui avait mis de l’argent », raconte Gennaro. Cette «Maison de chais», du nom de la confrérie créée par Louis de Polignac – parrain du prince Albert –, ne manque pas d’anecdotes. Celles de VIP, tels des acteurs hollywoodiens, intronisés au soir de «bringues » mémorables. Plus loin dans le dédale, une «chapelle» barrée d’une imposante grille noire. Le « coin des journalistes» avec ses Pétrus et autres Yquem mis en scène pour rassasier le besoin d’images. Le coin des curieux, aussi, car la collection de la princesse Caroline occupait les lieux avant de devoir être déplacée. Le voyage se poursuit dans un long couloir aux mille contrées. Le double magnum est rare. Les demi-bouteilles représentent 5 %. « La clientèle internationale est plus encline à goûter un grand vin français, mais aime voir les grandes étiquettes de son pays représenté », justifie Gennaro avant de dévoiler son musée dans la « Réserve Marie-Blanc ». Un Mouton Rothschild 1973 étiqueté avec du Picasso côtoie des Pétrus 1941 ou 1945, comme un Yquem de 1890. La plus vieille bouteille, « imbuvable », n’a pas d’étiquette mais un savoureux «Défendu d’en laisser » est gravé dans le verre. Un autre Mouton 1945, près d’un Cognac napoléonien de 1804, est évalué 25 000 euros. « Celui qui sait déguster ne boit plus jamais de vin, mais il goûte ses suaves secrets », écrivait Dali. C.Q.F.D. La visite se termine par la dégustation d’un noble et modeste Languedoc 2 012. Puissant, frais et bourré d’arômes. Comme cette cave.
Pas une voiture avec plus de kilomètres ” Le luxe de dire non à certains clients ”