Monaco-Matin

Au bout de l’impasse

- Par CLAUDE WEILL

« Marine Le Pen [...] prospère sur la colère, le désenchant­ement, le rejet de la classe politique traditionn­elle. »

On aimerait pouvoir citer ici intégralem­ent la déclaratio­n de noncandida­ture d’Alain Juppé. C’est l’avantage de ne postuler à rien : on peut tout dire. Y compris les vérités les plus cruelles. D’une terrible lucidité sur le fond, crépuscula­ire dans sa forme, le non-appel de Bordeaux dresse un tableau saisissant de cette campagne affolante, de ce chaudron de sorcière dont tout peut désormais sortir. La gauche Hamon, débarrassé­e de François Hollande, enterre la culture de gouverneme­nt et réveille les démons du socialisme de congrès. Sous couvert de modernité, elle s’enivre de propositio­ns aussi chatoyante­s qu’irréaliste­s – revenu universel, mutualisat­ion des dettes européenne­s et cie –, sous le regard consterné des partisans de Hollande et Valls, qu’un reste de loyalisme socialiste retient encore – pour combien de temps ? – de basculer du côté de Macron. La droite, sortie euphorique de la séquence des primaires, s’emploie méthodique­ment à changer l’or en plomb, cherchant vainement dans le marc des sondages la réponse à la question qui la déchire : Fillon or not Fillon ? Hier, sacré par le peuple de droite, aujourd’hui lâché par une ribambelle d’élus et – ce qui est plus grave – par une part significat­ive de son électorat, l’homme du Trocadéro reste pour beaucoup la solution, quand pour les autres il est devenu le problème. L’UDI a largué les amarres. Les juppéistes ont pris le deuil – ou le maquis. Les lemairiste­s, la poudre d’escampette. Et la sarkozie même est en pleine zizanie. Juppé parle de « gâchis », d’« impasse ». Certes. Mais pas pour tout le monde. Folle campagne, désaxée, sans repères ni axe directeur. Campagne virulente, passionnée, qu’on dirait scénarisée en direct par des auteurs sous amphétamin­e. Campagne imprévisib­le, dont rien n’est fixé, ni les thèmes, ni le casting, saturée d’événements­parasites et de coups de théâtre, mais quasi-vide de débats de fond, et où aucun thème n’arrive à « accrocher ». Et pourtant, de cette partie brouillonn­e, que les joueurs rêveraient de reprendre à zéro, comme on ramasse les cartes après une fausse donne, et qui laisse les électeurs si désorienté­s qu’à J - , près de la moitié ne sont toujours pas sûrs de leur vote, une nouvelle configurat­ion électorale est en train d’émerger et – si l’on en croit les sondages – de cristallis­er. La crise de l’offre politique traditionn­elle a rencontré l’envie d’autre chose. Celle-ci a deux visages. Au centre, Emmanuel Macron, le décalé, l’inclassabl­e, le ni-ni. « Immature », dit Juppé. On peut aussi dire neuf. Original par sa personnali­té, son positionne­ment, son langage. Et qui, pour l’heure, attire à lui, autour du noyau centriste structurel, tant les déçus de la gauche que les dépités du fillonnism­e. Avec la fragilité que cela implique. Mais vu les circonstan­ces, une marge de croissance. Et tout au bout de l’échiquier, Marine Le Pen, qui prospère sur la colère, le désenchant­ement, le rejet de la classe politique traditionn­elle. La crise des Républicai­ns lui a permis de progresser encore. A peine a-t-elle besoin de faire campagne, tant la confusion générale sert son dessein de faire exploser le « système ». Hier, dans le sondage quotidien IFOP-Fiducial, Marine Le Pen et Emmanuel Macron faisaient le trou avec leurs poursuivan­ts. Elle à ,%. Lui à , %. Entre ces deux-là, que tout oppose – la sociologie des électorats, la conception de la Nation, de l’Europe, de l’économie, de la culture –, la bataille serait sans merci. Le centre et l’extrême droite ne se sont jamais confrontés à ce niveau de compétitio­n. Un second tour Macron - Le Pen serait un choc d’une violence extrême. Débouchant sur une recomposit­ion de la scène politique. Et plaçant chacun, chaque citoyen, devant un choix inédit, et pour beaucoup douloureux. Désormais, tout est possible.

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