Monaco-Matin

Perquisiti­ons au Cap d’Antibes: soupçons sur un oligarque russe

Le député milliardai­re Suleyman Kerimov pourrait être le véritable propriétai­re d’un ensemble immobilier de plus de 90 000 m2. Les conditions financière­s de certaines de ses acquisitio­ns font l’objet d’une enquête

- ERIC GALLIANO

Les hauts murs d’enceinte de la villa « Hier », au Cap d’Antibes, n’ont pas suffi à garder le secret. Pas plus que les épaisses tentures récemment accrochées aux fenêtres de cette somptueuse propriété de 12 000 m2. Les policiers ont d’ailleurs saisi la note du tapissier qui avoisine tout de même les 580 000 euros ! Au-delà de son montant, cette facture de rideaux pourrait, entre autres documents et photos de familles, apporter la preuve de ce que la justice azuréenne cherchait en procédant, le 15 février dernier, à la perquisiti­on de l’une des plus belles demeures de la Côte. A savoir que la villa « Hier » et ses non moins luxueuses « dépendance­s » appartienn­ent bien à Suleyman Kerimov, un oligarque multimilli­ardaire, député du Dagestan au sein du conseil de la Fédération de Russie. L’homme d’affaires russe qui a fait fortune dans les métaux précieux et la potasse est en effet suspecté d’être l’un des plus gros propriétai­res fonciers du Cap d’Antibes. Pourtant son nom n’apparaît pas sur les titres de propriété. Officielle­ment, la villa « Hier », mais aussi ses voisines, les villas Medy Roc, Lexa et Fiorella, tout comme le terrain de l’ancienne villa Pellerin à la pointe du Cap, sont la propriété du financier suisse Alexander Studhalter. Soit plus de 90 000 m2 au total ! Si ce dernier refuse de s’exprimer sur le fond du dossier, un de ses proches assure

que « depuis qu’il investit pour développer un projet immobilier au Cap d’Antibes, Alexander Studhalter s’est toujours conformé à ses obligation­s fiscales », laissant entendre, au passage, que les villas « Hier » et autre « Medi Roc » seraient plus qu’un simple pied à terre pour milliardai­re.

Dessous-de-table en Suisse ?

La famille Kerimov y séjourne pourtant régulièrem­ent. Du coup la justice se

demande si le financier suisse n’est pas, en fait, l’homme de paille de ce richissime député russe. Elle s’intéresse surtout aux conditions d’acquisitio­n de ces villas de luxe car les montants déclarés au fisc français pourraient ne pas correspond­re au prix réel d’achat. Certains éléments laissent supposer que d’énormes dessous-de-table auraient pu être versés directemen­t en Suisse au travers d’obscurs montages financiers. Ces circuits offshore un avocat

du barreau de Bastia installé à Antibes en était semble-t-il devenu un spécialist­e. Me Stéphane Chiaverini a d’ailleurs été mis en examen et un temps placé en détention dans le cadre de ce tentaculai­re dossier judiciaire initié en novembre 2014 (nos éditions du 2 novembre 2015) et confié à la police judiciaire de Nice. C’est en s’intéressan­t aux affaires de Me Chiaverini que les enquêteurs ont finalement été conduits jusqu’au Cap d’Antibes dans les résidences supposées appartenir

au milliardai­re russe Kerimov. L’avocat aurait en effet servi d’intermédia­ire lors de la cession de la villa « Hier » (1). Montant officiel de la vente, du moins pour le fisc français: 35 millions d’euros. Si ce n’est que certains éléments du dossier tendraient à démontrer que 61 millions de plus auraient été directemen­t versés sur le compte en Suisse du vendeur. Même si ses avocats, Me Frèche et Soussi, contestent les faits, cet héritier d’une riche famille corse, aurait ainsi pu tenter d’échapper en partie à l’impôt sur les plus-values. Réduisant potentiell­ement d’autant les droits d’enregistre­ment censés être, quant à eux, à la charge de l’acquéreur. Si ce n’est que le financier suisse, qu’il représente ou non les intérêts de Suleyman Kerimov, aurait pris la précaution de les faire porter contractue­llement à la charge du vendeur.

 millions d’euros déjà saisis

L’administra­tion fiscale pourrait néanmoins estimer qu’elle n’est pas liée par ce contrat purement privé. Or, si elle s’estime lésée, elle n’hésitera pas, surtout par les temps de disette actuelle, à tenter de récupérer son dû par tous les moyens. Depuis le début de l’instructio­n de cette affaire, fin 2014, la justice a d’ailleurs déjà ordonné la saisie de plusieurs biens immobilier­s, d’oeuvres d’art, de bijoux et de véhicules de luxes, pour un montant global dépassant les 17 millions d’euros. Elle pourrait être tentée de faire de même avec les somptueuse­s propriétés perquisiti­onnées le mois dernier au Cap d’Antibes. À moins qu’elle ne décide de se contenter de la Ferrari Enzo ou de la Bugatti Veyron que les enquêteurs et le juge d’instructio­n Alexandre Julien ont découverte­s au garage en se rendant sur place. 1. Contactés, Stéphane Chiaverini tout comme son avocate, Me Brigitte Mindeguia, n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitat­ions.

 ?? (Photo Denis Fuentes) ?? L’entrée de la villa « Hier », l’une des propriétés perquisiti­onnées au Cap d’Antibes.
(Photo Denis Fuentes) L’entrée de la villa « Hier », l’une des propriétés perquisiti­onnées au Cap d’Antibes.

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