Que retenir du grand débat ?
Les cinq candidats en tête des sondages ont débattu avec clarté et maîtrise hier soir sur TF1. Les différences entre des visions profondément antagonistes sont apparues assez nettement
Après deux mois de vaches maigres, de débats totalement phagocytés par la traque – légitime ! – d’éventuelles entourloupes à la moralité, voire à la légalité, la joute politique a retrouvé un peu de sa grandeur hier soir. Dans le calme et avec clarté, 3 h 20 durant, un record, les cinq candidats retenus par TF1 ont mis sur la table des projets dont chacun aura pu, immédiatement, percevoir les différences. Relativement minimes sur l’école, où chacun veut globalement restaurer l’apprentissage des fondamentaux, quelle que soit la méthode retenue, ces différences ont sauté aux yeux sur la sécurité.
Sécurité clivante
Le vieux clivage entre une droite résolument répressive et une gauche plus permissive, misant davantage sur la réinsertion que sur la sanction, y reste d’une acuité presque caricaturale. L’immigration et le curseur des limites à y poser ont accouché de divergences similaires. Principe de réalité d’un côté, invoqué par Marine Le Pen et François Fillon, à quelques nuances souverainistes près, contre principe d’humanité pour Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, globalement en phase. La question voisine de la laïcité aura vu Marine Le Pen et François Fillon, avec virulence pour l’une, un peu plus d’aménité pour le second, se poser de la même façon en chantres d’exigences farouches pour lutter contre les communautarismes et l’intégrisme musulman. François Fillon et Marine Le Pen ne convergent toutefois pas sur tous les sujets. Comme Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, la candidate frontiste veut toiletter nos institutions, pour y introduire la proportionnelle et le référendum d’initiative populaire, notamment. L’ancien Premier ministre, à l’instar d’Emmanuel Macron, a préféré se poser en gardien d’une Ve République qui, estime-t-il, ne fonctionne au fond pas si mal.
Fillon, le seul candidat de la fin des heures
Que retenir, finalement, de ce débat ? Marine Le Pen y aura décliné ses thématiques protectionnistes et sociales bien rodées, avec une agressivité maîtrisée. Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, ils nous excuseront de les mettre dans le même sac, auront tenté de faire passer la crédibilité de projets résolument placés sous le registre de l’espérance, en proposant une société du travail idéale, campée sur le revenu universel, la semaine de 32 h ou le retraite à soixante ans. Quitte à tutoyer l’utopie, il faut sans doute le craindre. Tout l’inverse de François Fillon. A front renversé par rapport à la primaire de son camp, où il avait bousculé avec succès les tabous, porteur des idées les plus radicales, il a surtout essayé hier soir de ciseler – ou de restaurer – sa stature présidentielle, s’employant d’abord à se présenter en champion du réalisme et de la raison. Que ce soit en matière de modération des effectifs, de retraite à 65 ans, d’abrogation des 35 h qu’il est le seul à proposer, ou de sortie moins empressée du nucléaire. Apparu plutôt serein, François Fillon a en tout cas échappé aux agressions en règle qu’il pouvait redouter sur sa mise en examen. « Privilège » du favori dont il fait désormais figure, Emmanuel Macron aura été bien davantage titillé par ses adversaires. Il aura fait face avec un humour qui ne masquait pas toujours son agacement. Au bout du compte, ce temps perdu à répliquer lui aura un peu manqué pour développer ses positions. Ce matin, celui qui fait la course en tête sur le chemin miné de l’Elysée reste paradoxalement aussi celui dont le projet reste le plus complexe à résumer. La recherche de la voie médiane en toute chose est sa force, autant qu’elle pourrait se révéler sa faiblesse.