Monaco-Matin

Un géant aux pieds d’argile

- LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Physiqueme­nt, il n’a pas changé. Ou si peu. La soixantain­e, qui a blanchi son épaisse crinière, ajoute une note de charme à son incroyable beauté. Il a toujours le sourire vainqueur, les yeux translucid­es du Capitan. Mais, profession­nellement, il est au creux de la vague. Pour ses derniers succès à l’écran (la série des Fantomas), un drôle de petit bonhomme lui a volé la vedette – un certain Louis de Funès. Son ami, le réalisateu­r André Hunebelle, a décidé de tourner sans lui l’adaptation de OSS 117. Dans Peau d’âne, de Jacques Demy, il ne tient qu’un second rôle. Le cinéma français le boude. Alors Jean Marais, sans le moindre état d’âme, plie bagage. En 1970, il vend sa propriété de Marnes-la-Coquette et s’installe à Cabris avec sa mère Rosalie. Trois ans plus tard, sa maman disparaît. Plus seul que jamais, désoeuvré, le comédien décide de s’initier à la poterie. Il rencontre un profession­nel vallaurien, Jo Pasquali, qui lui enseigne les secrets de l’argile. Il rencontre aussi son épouse. Nini. Celle qui allait devenir « Nini Chérie ». Celle qu’il a toujours appelée sa providence.

«Je suis chez moi à Vallauris »

« Comme j’accompagna­is souvent Jo à Cabris, j’avais remarqué que Jean recevait de nombreuses visites d’huissiers», raconte-t-elle dans son livre de souvenirs (1). Nini ne se trompe pas : Marais, piètre gestionnai­re, est au bord de la faillite. Il doit une petite fortune au Trésor public. Son palais azuréen, avec ses trois cuisines et sa piscine chauffée de six cent mille litres, est un gouffre financier. Nini lui prescrit des remèdes drastiques. D’abord, négocier un étalement de sa dette avec les impôts. Puis retaper la maison de Cabris, afin de la céder au meilleur prix, avant d’en acheter une autre plus modeste. Instinctif, convaincu que ce bout de femme lui est envoyée par sa bonne étoile, l’artiste suit ces conseils à la lettre. Après la vente de sa villa, il passe plusieurs mois dans un chalet mis à sa dispositio­n par les Pasquali. Puis, en 1981, il s’installe définitive­ment au

Préau à Vallauris. Dans l’intervalle, comme le rappelle Gilles Durieux dans la biographie qu’il a consacrée au comédien(2), « l’apprenti potier était devenu un respectabl­e artisan vallaurien. »

Dès 1975, Nini songe à mettre à profit le talent naissant de ce néophyte à la signature prestigieu­se. Le 28 février, elle ouvre une galerie destinée à vendre les premières oeuvres en terre cuite du Capitaine Fracasse. Le succès est immédiat. Une deuxième galerie est rapidement inaugurée, cette fois à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, puis une troisième à Megève, une quatrième à Biarritz ! La vedette internatio­nale devient une gloire locale. Ceux qui se méfiaient a priori du

«Parisien» sont séduits par l’être délicieux qu’ils découvrent.

« Finalement, les amis vous aident davantage que la famille »

Pas une star, non. Juste un homme souriant, humble, soucieux de bien faire. Dans les colonnes de Nice-Matin ,il déclare à cette époque : « Je suis chez moi à Vallauris. Comme toujours dans la vie, la chance m’accompagne. La poterie m’a fait connaître deux personnes merveilleu­ses, Nini et Jo Pasquali, qui sont devenus de vrais amis. Plus que des amis… J’allais dire la famille. Mais finalement, les amis vous aident davantage que la famille. Ils ont transformé ma vie. Ils m’ont enlevé tout souci. C’est formidable ! » Au tournant des années quatre-vingt, il retrouve les plateaux de cinéma de façon épisodique. Mais il ne reste jamais loin de ses tours et de son four. Lorsqu’il tire sa révérence, le 8 novembre 1998, la Ville décrète quatre jours de deuil. Les Vallaurien­s pleurent un des leurs. Le 10 novembre, en découvrant Le

Bossu dans la petite lucarne qui lui rend hommage, les plus jeunes apprennent, tout surpris, que le « gentil monsieur Jeannot » avait été aussi un immense acteur.

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(Photos archives N.-M.)

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