Monaco-Matin

Insecticid­es: qui tuent-ils?

L’enfant, l’agriculteu­r, deux population­s désignées par les études épidémiolo­giques comme les principale­s victimes des pesticides. Un chercheur appelle à la raison

- PROPOS RECUEILLIS NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

« On est exposé à des mélanges complexes »

On a eu tendance à trop sousestime­r les effets néfastes des pesticides sur la santé. On dispose pourtant d’un faisceau d’arguments en faveur de liens entre l’exposition à ces produits chimiques et le risque de cancers en particulie­r.» L’homme qui tient ces propos sait parfaiteme­nt bien de quoi il parle. Directeur adjoint d’une unité mixte de recherche de l’Inserm et de l’Université de Caen consacrée à la prévention des cancers, Pierre Lebailly est aussi responsabl­e du programme Agricultur­e et cancer (Agrican). Cette étude, qui porte sur une cohorte exceptionn­ellement nombreuse d’agriculteu­rs, est riche de plusieurs enseigneme­nts que le spécialist­e livrera au public vendredi prochain, dans le cadre de l’assemblée générale du comité des A.-M. de la Ligue contre le cancer Il a accepté de lever partiellem­ent le voile en amont de cet événement.

Quels sont les faits avérés concernant les liens entre exposition aux pesticides et risque de cancers ?

Les premiers concernent les enfants. Il est établi qu’une exposition au domicile à des insecticid­es (produits contre les espèces rampantes, volantes, antipoux) augmente le risque de leucémies et tumeurs cérébrales chez l’enfant. D’autres études associent ce risque accru à l’exposition de la maman pendant la grossesse ou la période préconcept­ionnelle. Il faut néanmoins savoir que ces tumeurs de l’enfant restent rares.

Vos études ont surtout porté sur le monde agricole et, en particulie­r, la population des chefs d’exploitati­on. Quels constats?

Il apparaît qu’ils ont moins de cancers que la population

générale. On l’explique par leur consommati­on de tabac plus faible. Les cancers liés au tabac : poumon, vessie, pancréas, oesophage, sont beaucoup moins répandus au sein de cette population. En revanche, l’incidence de cancer de la prostate est plus élevée :  à  % de risque supplément­aire.

A-t-on des informatio­ns plus précises, concernant les activités agricoles les plus à risque ? Les éleveurs de bovins, ont un risque plus élevé : celui-ci est associé à l’usage sur ces animaux de médicament­s vétérinair­es contenant des insecticid­es de la même famille que ceux répandus dans les champs. Le traitement des arbres fruitiers, des pommes de terre, du blé, de l’orge, du tournesol et la récolte de fruits semblent également constituer des facteurs de risque.

Quelles preuves ?

Chez les personnes qui utilisent des gants de protection, lors de l’usage de pesticides, on n’observe pas de risque accru de ces cancers.

Mais n’est ce pas l’inhalation de ces produits qui est en cause ?

On l’a longtemps cru, mais c’est faux. Le risque est moins associé à l’inhalation qu’au contact cutané (à l’exception du travail en serre).

On a plusieurs fois évoqué un taux inquiétant de tumeurs cérébrales chez les agriculteu­rs. Les tumeurs cérébrales sont très hétérogène­s. Ce qui a pu être noté, c’est un lien entre le développem­ent de gliomes (des tumeurs du système nerveux central) et la pratique de la viticultur­e et des grandes cultures (pommes de terre, pois tournesol…). De façon surprenant­e, en étudiant les population­s d’agriculteu­rs, vous avez aussi découvert qu’elles semblaient protégées de certains cancers !

Ça a concerné surtout le poumon. Les éleveurs de bovins et chevaux depuis plus de  ans, ont deux fois moins de risques de cancer du poumon ! Mais cette protection ne s’exerce que si les personnes ont passé le premier mois de leur vie au sein de ces exploitati­ons. Des observatio­ns similaires ont été faites il y a plusieurs années déjà concernant la survenue d’asthme.

Comment l’explique-t-on ?

On sait que les personnes qui travaillen­t dans l’industrie du coton en particulie­r, sont aussi protégées du cancer du poumon. Il est possible qu’une toxine produite par des bactéries présentes sur les fibres de paille ou de foin (les éleveurs de bovins et chevaux en manipulent beaucoup) stimule le système immunitair­e et protège les organes respiratoi­res de l’asthme et pourquoi pas du cancer du poumon. D’ailleurs, on ne retrouve pas ces effets chez les éleveurs de cochons, et de volailles. Là, on observe même un risque accru.

Face à des observatio­ns aussi complexes, quelle est votre position ?

Clairement – et il faut le rabâcher –, les pesticides sont tout sauf de l’eau ! La plupart d’entre eux sont conçus pour tuer le vivant, leurs effets toxiques chez l’homme, qui présentent des mécanismes intimes communs avec les insectes par exemple, sont prévisible­s et ne doivent pas être sous-estimés. L’erreur que l’on commet aujourd’hui, au niveau de la réglementa­tion, c’est de vouloir raisonner molécule par molécule, alors que dans la réalité, on est exposé à des mélanges très complexes. Aujourd’hui, on dispose d’assez d’éléments pour passer à la vitesse supérieure en diminuant l’exposition aux pesticides, voire en s’en passant totalement dans un grand nombre de secteurs, notamment les grandes cultures. C’est d’ailleurs l’objectif du plan Ecophyto.

Un dernier mot à destinatio­n du grand public ? Le principe de précaution doit-il l’inciter à se détourner des fruits et légumes ?

Certaineme­nt pas. Les bénéfices tirés de la consommati­on de fruits et légumes sont très supérieurs aux risques liés à la présence de résidus de pesticides dans ces végétaux. Par ailleurs, ces résidus se retrouvent surtout dans les produits cultivés dans d’autres pays. Par 1. Conférence sur le thème « Exposition­s aux pesticides et risque de cancers», organisée dans le cadre de la 61e assemblée générale du comité des Alpes-Maritimes de la Ligue contre le cancer. Vendredi 7 avril 2017 à 9 h au Palais des Rois Sardes, au 10 rue de la Préfecture à Nice. Entrée libre sur réservatio­n au 04.97.20.20.47 ou par mail : eugenie.clauzon@ligue-cancer.net

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(Photo d’illustrati­on Michaël Alesi) La pratique de la viticultur­e a pu être associée au développem­ent de certaines tumeurs cérébrales, selon Pierre Lebailly, responsabl­e du programme Agricultur­e et cancer.

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