Monaco-Matin

Infernet, un héros militaire qui commande en niçois

- ANDRÉ PEYREGNE RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

n raconte que dans les années 1810, on rencontrai­t sur les chemins d’Ollioules un curieux personnage à dos d’âne qui, tel Don Quichotte dans le roman de Cervantès, pestait contre son animal : «Ai fa vira di veissèu mai pode pas faire vira aquest ase, maugréait-il ! »:« J’ai pu conduire des vaisseaux mais n’arrive pas à conduire cet âne ». Qui était ce géant bedonnant un peu voûté, haut d’un mètre quatreving­t-dix, juché sur sa maigre monture ? Un ancien commandant niçois, héros de la bataille navale de Trafalgar, né en 1756 : LouisAntoi­ne-Cyprien Infernet ! Un quai portant son nom borde aujourd’hui l’un des côtés du port de sa ville natale. Comme le rapporte son biographe Pierre Lévêque, son père était un chirurgien originaire de Toulon, sa mère, Madgeleine Fabre, la tante de l’amiral Masséna. De 13 à 20 ans, il est mousse sur le Marie-Désirée. Après quoi il entre dans la Marine royale. Il y gravit tous les échelons. Lors de la guerre d’Indépendan­ce des ÉtatsUnis, il se trouve dans la flotte partie de Toulon pour aller prêter main-forte aux Américains contre les Anglais. Son bateau, le César, explose lors de la bataille des îles des Saintes, dans la mer des Caraïbes. Il est sérieuseme­nt blessé.

Il défie les Anglais en leur montrant son postérieur

Nommé commandant en 1803, cet homme pittoresqu­e et truculent En , le village de Bandol n’existe pas. C’est un hameau qui dépend de celui de La Cadière. Le capitaine Antoine de Boyer a été chargé en , d’y construire un fort - en réalité des tours d’angle et des murailles- «sur la butte de la presqu’île face à l’île de Bandol », qui deviendra bien plus tard Bendor. « Il reçoit en cette année , une lettre patente confirmant son autorité sur le lieu ainsi que le solde de ses gages pour cette constructi­on», raconte Jean Grillon, président de l’associatio­n Pointus, Légendes, Traditions, Bandol. Au fur et à mesure qu’il avance dans sa mission, il négocie des territoire­s, agrandit ses possession­s, élargit son influence et reçoit des gages de gratitude de la part de la royauté. C’est ainsi que le  mai , par lettre patente, Henri IV (-) lui fait don de la madrague, autrement dit, lui accorde le privilège de la pêche au thon, tout le long des côtes, depuis La Ciotat jusqu’à Antibes. Elle précise que cette permission ne doit en rien « nuire et préjudicie­r» aux autres pêcheurs.

Procès et contestati­ons

Les contestati­ons et procès ne cesseront de se multiplier, émanant également des donne ses ordres en provençal, dans un langage bizarre et zézayant. Il est inculte. On dit de lui « Infernet parle mal mais se bat bien ». Le 21 octobre 1805, le voici aux commandes de l’Intrépide lancé dans la célèbre bataille de Trafalgar, contre la flotte anglaise de l’Amiral Nelson. C’est lui qui résistera le plus longtemps. Il tirera Le tableau de Vernet fait partie d’une série sur les ports de France, réalisée entre  et . Celui sur Bandol représenta­nt la pêche au thon a connu un grand succès lors d’une exposition en . Au fond le fort dit de la Motte et le château.

autorités du port de Toulon, car cette madrague le long des côtes, gêne aussi la circulatio­n des navires de guerre. Le dispositif consistait à tendre sur de grandes distances, des filets lestés, de façon à former un enclos pour y rabattre les thons. On pouvait en prendre  à  d’un coup, alors que les petits pêcheurs n’en le dernier coup de canon dans cette bataille gagnée par les Anglais. Contre l’avis du commandant général de la marine française, l’amiral Villeneuve, il lance l’Intrepide au coeur des opérations. Il canonne le Leviathan, contraint l’Africa à l’abandon. C’est alors que l’Orion le canonne par derrière et abat ses mâts. L’Intrépide ne se rend pas. Sept navires anglais l’entourent. Infernet racontera : « Je fus coupé par deux navires qui commencère­nt à me canonner, je les approchai et commençai à 2 heures à les combattre de très près. Une demiheure après, je fus combattu par trois, à 3 heures par quatre, à 3 heures 45 par cinq, je faisais feu des deux bords. À 4 heures je fus dégréé… » Sans mât ni voile, l’Intrépide continue son combat. Tirant au ras de l’eau pendant qu’il coulait, coupé en deux, ayant perdu la moitié de son équipage et plusieurs officiers, l’Intrépide est toujours là. Infernet est sommé de se rendre. C’est alors qu’il répond

attrapaien­t que deux ou trois. «La Madrague de Bandol se trouvait au bout de l’actuelle lagune du Brusc, en face des Embiez. C’était la plus importante de Méditerran­ée et un véritable spectacle auquel assistait la noblesse provençale et parisienne», raconte Jean-Marie Schneider, président du Cercle des Auteurs Bandolais. en niçois: «Giammai de la vida. Lou mieù bateù es pintat de de noù !»: «J amais de la vie, mon bateau est peint de neuf ! ». Et, se retournant dans la même attitude que Catherine Ségurane face à l’armée turque sur les remparts de Nice, présente son postérieur aux Anglais. Il sera le dernier à se rendre. Il aura perdu trois cent six hommes sur six cent soixante-dix. Fait prisonnier, les Anglais, qui le respectent, lui offrent des bouteilles de rhum. On le voit boire grog sur grog : « Je ruine l’ennemi », s’exclame-t-il avec son accent niçois. En 1806, une fois libéré, Napoléon le décorera personnell­ement de la Légion d’honneur. Sur ses vieux jours, Louis Infernet s’installe dans une maison à Toulon, où il mourra en 1815. Il acquiert aussi une propriété dans le quartier de la Courtine à Ollioules. C’est là que, sous le bleu du ciel balayé de mistral, l’ancien commandant de l’Intrépide à Trafalgar essayait, dit-on, de se faire obéir par son âne. D’ailleurs Louis XV commandera à Joseph Vernet, un des plus grands peintres de la marine, une toile représenta­nt le port de Bandol. «C’est pour ce spectacle grandiose que le peintre choisira la pêche au thon. Ce tableau connaîtra un immense succès lors d’une exposition en  », précise JeanMarie Schneider. L’or gagné grâce au privilège de la pêche qui a perduré au-delà de la mort d’Antoine de Boyer (-) - lui a permis de construire un château en , collé aux fortificat­ions. Et ses successeur­s ont pu acheter entre autres un fief en , fief qui deviendra indépendan­t la même année, par son détachemen­t de la commune de La Cadière. Ainsi naissait Bandol. Du fort et du château détruit en  sur ordre du sanguinair­e révolution­naire Barras, né à Fox-Amphoux, il ne reste qu’une ruine de rempart, au bout de la corniche Bonaparte. Sur l’actuelle place du château qui était l’entrée de ce bâtiment se trouvent à présent des habitation­s.

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(Photos DR) La célèbre bataille de Trafalgar au cours de laquelle Infernet (cidessus en médaillon) se conduisit en héros

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