Monaco-Matin

L’architecte donne sa vision de Monaco

L’architecte star Rudy Ricciotti, invité par la Fondation Prince Pierre à parler de son métier, livre ses états d’âme de créateur. Et sa vision de la Principaut­é et des projets qu’il crée pour le pays

- PROPOS RECUEILLIS PAR CEDRIC VERANY

Il a la réputation de dire ce qu’il pense. Et ne pas mâcher ses mots distillés par son accent à l’arôme pagnolesqu­e. Invité par la Fondation Prince Pierre pour parler de son métier au Pavillon Bosio, le loup Ricciotti a été doux comme un agneau pour se confier sur son processus de création d’architecte qui a fait de lui une des stars internatio­nales dans son domaine. Parmi ses réalisatio­ns phares dans le monde: le Mucem à Marseille, le stade Jean-Bouin à Paris, la Philharmon­ie de Potsdam, la passerelle de la paix à Séoul et le musée Cocteau de Menton. En attendant des projets qu’il mûrit pour la Principaut­é… Vous avez déclaré plusieurs fois que vous ne preniez pas de plaisir dans votre travail, on a du mal à vous croire ? Je suis un grand menteur (rires). Je dis que je ne prends pas de plaisir, car je suis un architecte anxieux. Je ne célèbre pas la création comme un acte d’extase philosophi­que. Pour moi la création est un combat critique, politique face à l’adversité des signes. C’est un territoire dans la difficulté. Le plaisir est dans cette jouissance à tenir la difficulté et à la faire parler. Lui dire «je vais arriver à te faire la peau toi la difficulté». J’exerce ce métier avec une sensibilit­é paranoïde et un instinct psychopath­e. Il faut passer à l’acte, savoir faire et transforme­r. Et là commence le rêve. Ce métier oscille entre la solitude de la création et l’étape de constructi­on où vous êtes chef d’orchestre d’immenses chantiers. C’est assez schizophrè­ne? En effet, c’est un métier qui se fait dans l’effort, pas dans la facilité. Il faut trouver un équilibre entre l’usage, la forme, le contexte. Faire parler les territoire­s. Les projets dont nous architecte­s, avons la responsabi­lité doivent métamorpho­ser le réel pour en révéler la dimension poétique, l’épaisseur physique. Il faut faire parler les choses. L’architecte n’est pas comme un peintre qui prend du plaisir avec un chapeau et un chevalet dans un champ de lavande. Même si, la peinture est un exercice difficile. Avez-vous parfois été insatisfai­t de certaines de vos réalisatio­ns au point de vouloir les détruire? Je n’ai jamais le sentiment de m’être trompé. Mais dans un projet achevé, je n’y vois que des défauts. Je ne veux plus y mettre les pieds car je ne vois que ce qui ne va pas. Je finis par oublier ce qui est bien. Heureuseme­nt que j’ai la gentilless­e du public, qui dit ensuite: c’est formidable.

Votre carrière est jalonnée de créations de bâtiments culturels. Ce sont ces réalisatio­ns qui vous inspirent principale­ment? On ne choisit pas sa carrière, on la fabrique malgré nous. Certains architecte­s construise­nt des prisons, ce sont des gens très sobres, humbles. Faire des salles de spectacles, des musées, c’est un privilège.

Vous dites qu’on ne choisit pas sa carrière. Avec votre renommée, on imagine que vous pouvez choisir les projets qui vous intéressen­t? Non, je ne sélectionn­e pas mes clients. Je ne l’ai jamais fait et encore moins pour de l’argent. J’ai fait des villas pour des gens humbles. Mes projets ne sont pas grandiloqu­ents avec des délires financiers. Je n’ai pas ce snobisme de choisir mes clients. Ce sont eux qui me choisissen­t.

La question environnem­ent, exponentie­lle ces dernières années, a-t-elle influencé votre manière de travailler? J’accorde une importance critique à ces sujets sans passer par la case du consuméris­me et de la surenchère environnem­entale. J’essaye de faire des bâtiments qui travaillen­t avec des ressources de proximité. Notamment le béton, avec une chaîne courte de fourniture et des maçons qui participen­t à la cohésion économique et sociale. Et ne pas faire du bling-bling avec des choses d’Inde ou de Chine.

En signant le livre d’or du Pavillon Bosio, vous qualifiez Monaco de ville libre architectu­ralement. Que vous inspire-t-elle? Monaco est une ville qui a une gestion intelligen­te de la densité sur une trame urbaine du XIXe siècle. Évidemment les tours font de l’ombre l’une sur l’autre. Mais il y a un partage de l’espace et une fluidité transversa­le incroyable, notamment avec tous ces ascenseurs qui permettent de circuler rapidement à pied. Vous êtes en train de réfléchir à un projet d’entrée de ville au Jardin exotique, quels contours aura-t-il? C’est moi qui, en effet, ai déplacé toutes les serres du Jardin exotique. Ce monument de serres, tout en verre et en pierres qui la nuit sera éclairé, je le trouve très beau et bien intégré. Le tout sera connecté, avec une ou deux passerelle­s qu’on imagine, notamment vers la villa Paloma. Vous avez aussi dessiné le projet immobilier porté par le groupe Caroli, sous le fort Antoine. Souhaitez-vous le voir se réaliser? Ce serait certaineme­nt le plus beau musée que j’aurais eu à réaliser, avec la responsabi­lité écrasante de le faire sur le front de mer. Il est exceptionn­el, il ressemble à une raie manta en béton blanc posée le long des quais. Le musée sera financé par le programme immobilier voisin. L’immeuble ne me pose pas de problème. Il est plaqué contre le fort, il a été réduit d’un étage. Je crois qu’il faut donner aux architecte­s les moyens de créer. C’est ce que m’a permis Antonio Caroli. Je n’ai eu aucune contrainte financière pour imaginer ce projet. Pour moi c’est un seigneur, le client idéal. Quid de son esthétique? C’est un programme de très grand luxe, inscrit dans l’histoire immobilièr­e de Monaco. Au prix où sont les appartemen­ts, la moindre des choses est que l’on fasse de beaux immeubles. C’est un peu ce qui manque dans les constructi­ons passées en Principaut­é. A des prix luxe, l’immobilier ne l’était pas. Il n’y a pas eu de patrimonia­lisation. Je crois qu’à Monaco aujourd’hui il faut cesser de détruire les vieux palais et faire que les immeubles qui se construise­nt soient de prestige. Si à Monaco, on n’a pas les moyens de faire cela, où d’autre dans le monde?

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 ?? (Photo Dominique Leriche) ?? Auteur de nombreux bâtiments contempora­ins salués pour leur esthétisme dans le monde, l’architecte établi à Bandol brille dans son domaine.
(Photo Dominique Leriche) Auteur de nombreux bâtiments contempora­ins salués pour leur esthétisme dans le monde, l’architecte établi à Bandol brille dans son domaine.
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