Monaco-Matin

« Un refus de la xénophobie et du nationalis­me »

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL

Italien, Alessandro Leiduan vit en France depuis plus de  ans. Maître de conférence­s à l’université de Toulon et du Var, il y assure des cours sur la sémiologie, les civilisati­ons comparées, et s’intéresse à la politique en France et plus généraleme­nt, à la nature de la politique et sa significat­ion pour notre civilisati­on.

Pourquoi selon vous, le Front national ne parvient pas à porter sa candidate à l’Élysée? J’ai le sentiment qu’à travers les élections, les Français revivent le drame national qui a inauguré la page moderne de l’histoire, à savoir la capitulati­on de la France à Hitler et au collaborat­ionnisme qui a suivi. Chaque élection est une version « fictive » de ce drame en ce sens que la population s’insurge contre la réincarnat­ion contempora­ine de l’hitlérisme [le Front national], là où, dans la version originaire de ce drame historique, les choses s’étaient passées autrement... Les Français cherchent une compensati­on fictive à leur échec historique.

Marine Le Pen voulait justement gommer cet aspect du parti, le « dédiabolis­er »... Les Français ne sont pas prêts à accorder à Marine Le Pen la réputation de représenta­nte d’un parti républicai­n. Elle incarne auprès d’un certain nombre des électeurs [et surtout, de ses adversaire­s] la xénophobie et le nationalis­me outrancier. Son programme est encore trop vulnérable à ce genre de critiques. Les raisons de la diabolisat­ion du Front national sont, selon moi, à chercher moins dans le programme de ce parti que dans l’inconscien­t politique de la nation française.

Cela explique aussi la raison du Front républicai­n? Oui. Mais celui auquel on a assisté ce soir est très différent de celui de  car on est également face à l’usure de légitimati­on des partis traditionn­els, et le taux d’abstention en est la preuve: les gens sont fatigués de voter pour un candidat par défaut.

Les partis traditionn­els n’ont plus d’avenir sur l’échiquier politique? Je pense surtout qu’ils ne remplissen­t plus la fonction qu’ils devraient remplir dans le cadre d’une démocratie, à savoir la médiation entre la société et les valeurs idéales telles que la justice, la liberté, l’égalité. Le problème dans notre société est qu’il y a un désaccord entre les valeurs auxquelles nous croyons et le fonctionne­ment de notre société, qui répond à des mécanismes de régulation économique. Ce qui compte c’est produire de la richesse et la consommer. Si vous grippez la croissance, vous pouvez être sûr que le modèle de société va s’effondrer.

En annonçant dès hier soir, la refondatio­n de son mouvement, Marine Le Pen entend-elle s’émanciper de l’image de ce parti qui la handicape, pour envisager la victoire dans cinq ans? Oui, je pense qu’elle a tiré les enseigneme­nts de son échec et qu’elle cherchera à lever l’ambiguïté qui pesait sur une partie de ses revendicat­ions politiques. L’appel au patriotism­e peut marcher, mais à la seule condition qu’il s’agisse d’une instigatio­n sincère à rompre avec l’ultra-capitalism­e mondialisé, non pas d’une tentative de dissimuler des sentiments nationalis­tes et xénophobes. Si le nouveau parti veut être le rempart d’un patriotism­e antimondia­liste, il faudra que ses dirigeants clarifient sans ambiguïté leurs positions : sont-ils hostiles à l’Europe parce qu’ils veulent réaffirmer les droits de la politique sur l’économie? Ou, plus prosaïquem­ent, parce qu’ils ne tolèrent pas la moindre ingérence étrangère dans la politique de leur pays? Sont-ils hostiles aux immigrés par principe ou parce qu’ils reconnaiss­ent que les phénomènes migratoire­s actuels visent à constituer, au sein même des pays européens? Une « armée industriel­le de réserve » (Marx), c’est-à-dire une masse de travailleu­rs librement exploitabl­es destinés à faire pression sur les salaires des travailleu­rs déjà en activité en les forçant, petit à petit, à renoncer à leurs droits sociaux? Ces questions seront, à mon avis, la pierre de touche du renouvelle­ment politique appelé de ses voeux par Marine Le Pen.

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