Monaco-Matin

Lycéenne à Nice en -

Simone Jonesco, l’épouse de Gaston, fille de résistant, livre ses souvenirs de cette période

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Simone Jonesco, l’épouse de Gaston, est toujours en vie. Elle a accepté de nous rencontrer, chez elle, rue Rossini, dans un immeuble qui a appartenu à la famille Perrin… et fut d’ailleurs le théâtre d’une rafle. Fille du résistant Raoul Sube, qui a côtoyé René Char, ou Albert Camus, elle raconte ses souvenirs de la vie niçoise pendant la guerre. Extraits. «Mon père, délégué Ufolep à l’éducation physique pour les enfants, faisait partie d’un groupe d’enseignant­s qui se réunissait au Dôme, le café qui se trouvait à l’angle de la rue d’Angleterre et de l’avenue Thiers. Il y avait Pierre Merle, M. Lauron, M. Bellon, M. Allègre… Un clan se formait. Ils étaient tous officiers de réserve. Et nous, enfants, nous étions là, à côté, à jouer… Nous ne nous doutions pas du combat qu’ils allaient mener.» C’était avant que la guerre n’éclate. Avant que ces hommes ne deviennent des résistants. Puis est venue la mobilisati­on. «Nous étions à Saint-Pierre de Pierrerue, du côté de Forcalquie­r, où vivait ma tante. Je me souviens que l’ancien instituteu­r qui avait poussé mon père à intégrer l’école normale pour être instituteu­r, Max Trouche, avait des amis tels que Giono, Pagnol… Quand la guerre a éclaté, j’ai le souvenir de Giono, qui arrachait les affiches de mobilisati­on avec la fille de M. Trouche. Il faisait partie des pacifistes… Tandis que mon père faisait plutôt partie des va-t-en guerre, anti allemands. Deux visions se confrontai­ent… Il y avait beaucoup de pacifistes, ce qui explique que la France n’était pas préparée à la guerre…» Et surtout pas Nice, selon Simone Jonesco: «À Nice, qui venait de voir déferler pendant 4 ans “la plèbe”, après la mise en place des congés payés par le Front populaire, l’état d’esprit était tellement bon enfant. Les grands cafés bruyants sur la place Masséna, les casinos, il y avait des quantités de maisons de spectacle, les théâtres, les cinémas, les pêcheurs sur le quai des ÉtatsUnis, les gens qui sortaient des chaises dans la rue le soir et parlaient entre-eux, les enfants qui jouaient dans la rue… Et soudain, l’annonce de la guerre. Une profonde tristesse. De profonds changement­s…»

La rentrée sous l’égide des réfugiés

Elle se rappelle de son entrée au lycée sous la guerre. «Je me souviens de ma rentrée au lycée de jeunes filles, le lycée Calmette. En octobre 1939. Le professeur, Mme Roméo est entrée dans la salle. Nous nous sommes levés. Elle a sorti ses affaires, et nous a autorisés à nous asseoir. Puis elle nous a dit: “Vous êtes là, bienheureu­ses petites Niçoises qui ne connaissez pas l’horreur… Contrairem­ent à trois de vos camarades que je vous demande d’accueillir du mieux possible.” Puis elle nous a demandé de nous lever, pour faire une minute de silence “pour tout ce qu’elles ont perdu”. Nous accueillio­ns deux polonaises, et une fille qui paraissait allemande… et qui s’est révélée être Eva Freud, la petite-fille du psychanaly­ste. Nous étions sidérées de savoir ce à quoi ces filles avaient dû échapper! » Elle note: «Nous avons découvert les juifs à ce moment-là. Nous n’en avions jamais parlé avant. Je ne savais même pas ce qu’était un juif. Car ils étaient tellement intégrés. Ils étaient d’abord Français. Eux-mêmes ont été surpris d’être pointés du doigt en tant que juifs…»

Amère défaite, résistance en marche

Elle raconte les événements qui s’enchaînent. Son père, mobilisé dans un avant-poste en montagne. Et le coup dur. La chute. La défaite. «On est démolis, vaincus. Nous sommes en 40. Depuis Saint-Pierre de Pierrerue où mon père m’avait ordonné d’aller me mettre au vert chez sa soeur, je regagne Nice. Mon père est démobilisé. Mais avec ses amis, ils prennent toutes les armes, ils les descendent en ville et ils les cachent. Avec M. Merle, le docteur Jouglard, et le reste du clan, ils se retrouvent de nouveau régulièrem­ent au Dôme… Et ça papotait, ça tergiversa­it… Mais nous ne nous doutions de rien.»

Quand les lycéennes saccagent l’hymne au Maréchal

C’est le début de la vie niçoise, en zone libre, sous le régime de Vichy. «Le lycée a repris. J’étais dans l’année du bac. Je redouble, puisque j’avais dû partir chez ma tante. Je suis en classe avec les Lipmann, avec une des soeurs de Simone Veil aussi… On nous fait faire la levée des couleurs, le salut au drapeau… et chanter l’hymne au Maréchal… Quand mon père a su ça, il était furieux. Il m’a dit: “Vous ne chantez pas! Vous bougez les lèvres, c’est tout !” En fait, on faisait comme ça, et entre copines, on jouait à introduire des phrases du genre “T’es le pire des salauds”. On s’amusait.»

Italiens en ville

Les Niçois pressentai­ent l’arrivée imminente des Italiens. «Mon père m’a immédiatem­ent acheté un autre vélo… Il a acheté des pardessus à des Anglais qui partaient… Il avait peur. Il disait: «Ils vont tout nous prendre… On va être dans la misère la plus noire… On a même un ami, M. Blanchi, qui avait un magasin de tissus et qui a acheté une épicerie pour être sûr de ne pas manquer de nourriture. Il a aussi, à l’Escarène, mis deux vaches dans un champ au cas où…» Les Italiens arrivent en 1942. «Finalement, on n’a pas un souvenir diabolique de l’occupation italienne… Les soldats retrouvent des amis Italiens qui s’étaient installés à Nice, ils chantent…»

Au coeur de la rafle de la rue d’Italie

Mais le climat se tend, en quelques mois. «Des copines disparaiss­ent…

« La famille Lipmann, des avocats, une famille de la haute société niçoise, ont fui dans la montagne. Ils sont allés vivre au-dessus d’Allos. Ils n’avaient plus rien, ils ne sont partis qu’avec un sac… Pendant deux ans, là-haut, lui a créé un groupe de résistants célèbre dans la vallée de Barcelonne­tte. Quelle force de caractère… Il s’est battu jusqu’au bout. Il a malheureus­ement été tué là-haut trois jours avant la victoire… On en parle peu, mais ils ont été plusieurs juifs niçois à devenir résistants!» C’est parce que certains partent se cacher, quelque part…» C’est l’arrivée des Allemands en septembre 1943 qui fait basculer Nice dans une horreur totale. «On a vu partir les Italiens. Certains ne savaient plus où ils en étaient… La plupart des soldats sont d’ailleurs partis en civil… Et certains, à Forcalquie­r, sont même entrés dans la résistance.» La famille Sube habite au 13, rue d’Italie. L’immeuble contigu a celui des Klarsfeld. Leurs bâtiments font partie des premiers à subir une rafle dans la nuit du 30 septembre au premier octobre 1943. Celle-là même où le père de Serge Klarsfeld sera arrêté. Dans l’immeuble de Simone Jonesco, la violence se déchaîne. «À l’étage où nous étions il y avait des juifs. Ça tapait, ça forçait… Ils enfonçaien­t la porte. Mon père était tendu, nerveux. Il n’arrêtait pas de répéter «De la dignité!» Des officiers SS ont défoncé notre porte. Finalement ça s’est bien passé pour nous…»

Les livres étaient des mitraillet­tes

Dernière année de lycée. Les Edelmann, qui tenaient la pharmacie en face de l’école Notre-Dame (aujourd’hui jardin Notre-Dame) ont été déportés. La petite Eva Freud a été cachée. «Une de mes camarades lui a donné ses papiers d’identité, car son père, qui avait un gros poste aux impôts, a pu organisera fuite. La soeur de Simone Veil entre dans la résistance…» Puis pour les Sube, la période se durcit. «Un soir, mon père rentre, agité et me dit “à partir de maintenant, si les volets sont comme ça, tu ne rentres pas!” Nous ne comprenion­s pas jusqu’à ce qu’il nous dise: “Allègre a été arrêté…” Je me souviens que mon père nous disait à Maryse, la fille d’Allègre, et à moi: “Ne faites pas les idiotes!” Pourtant, il m’en a fait faire… Avec papa, sous l’aire italienne, je me souviens qu’il m’a fait monter plusieurs fois dans le train à la gare du Sud avec de grosses valises très lourdes… À tel point que l’officier italien qui m’aidait à monter les valises m’avait dit une foi: “Mais qu’est-ce que tu as là-dedans?” Mon père s’était écrié: «Des livres!» En fait, il y avait de petites mitraillet­tes françaises, très lourdes… C’était ça la vie à l’époque. Le mensonge, le culot…

Arrestatio­ns

«Un jour en 43, mon père me dit: “Je ne suis plus Raoul Sube. Voici ma nouvelle carte d’identité…” Jusqu’à l’arrestatio­n d’Allègre, je n’avais pas mesuré combien mon père était impliqué dans la résistance… C’était dangereux. D’ailleurs, après avoir reçu un parachutag­e conséquent à Gréolières, son ami Pierre Merle, dénoncé, a fini par être arrêté. Devant ses élèves, à l’école!» Et ces arrestatio­ns se multiplier­ont. «Un jour, nous revenions du lycée avec Ethel De Toledo qui habitait sur Victor-Hugo. Mais avant d’arriver chez elle, la concierge de son immeuble était venue à notre rencontre. “Ne rentrez pas, vos parents ont été arrêtés…” a-t-elle averti. J’ai ramené Ethel à la maison. Le lendemain, mon père est parti en bicyclette lui chercher une cachette. Les soeurs de Saint-Maur l’ont logée. Grâce au diocèse beaucoup d’enfants étaient cachés dans les institutio­ns religieuse­s…»

Liberté…

Il y a eu la joie de la libération. Les jeeps, les chewing-gums et le café soluble distribués par les soldats américains. Mais aussi l’attente pendant des jours à la gare des proches arrêtés. Certains sont revenus. Squelettes ambulants. D’autres pas. À Nice, tant bien que mal, la vie a repris le dessus. «Mais ces périodes vous laissent des traces à vie… Et peu de monde peut aujourd’hui le comprendre…» 1) L’Union Française des Oeuvres Laïques d’Education Physique créée en 1928 au sein de la Ligue de l’enseigneme­nt. Une cérémonie pour le 72e anniversai­re de la Victoire de 1945 sera célébrée aujourd’hui à 18 heures, place du 8Mai-1945, quai des États-Unis. 18 h : Rassemblem­ent et dépôt de gerbes, Place du 8 mai. 18 h 20 : Départ du cortège pour le monument aux Morts. 18h25: Arrivée du cortège au monument aux Morts. 18h30: Début de la cérémonie. Salut au drapeau des autorités. Remise de décoration­s. Lecture des messages. Dépôt de gerbes.

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(D. R.) Simone Jonesco, au temps du lycée.

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