Monaco-Matin

Pierre Lescure: «Cannes est un laboratoir­e et une vitrine»

Son président évoque l’impact du plus prestigieu­x festival de cinéma au monde, son fonctionne­ment, ses souvenirs personnels en la matière, et se réjouit d’un millésime 2017 « très prometteur »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (ALP)

Incontourn­able et parfois contesté pour son côté élitiste, le Festival de Cannes fête cette année sa soixante-dixième édition Son président, Pierre Lescure, explique en quoi le plus grand festival du monde est d’abord un « rendez-vous artistique et économique ». Un président qui ne veut que des stars du cinéma pour monter les marches.  années de Festival,  chroniques de journalist­es pour célébrer l’événement (). Sans critique, pas de Festival ? Les critiques font partie intégrante de l’histoire des films, qu’ils soient suivis ou pas. Depuis  ans que je fréquente les gens de cinéma, une chose me frappe : quand vous parlez avec un réalisateu­r à la sortie de son film, il ne vous parle que d’une seule critique, celle qui est négative ! C’est quelque chose de vivant, la critique, mais ce n’est pas notre ambassadeu­r. Moi qui aime la presse écrite de façon presque charnelle, j’aime les critiques avec lesquels j’ai l’impression de dialoguer, même quand je ne suis pas d’accord. D’ailleurs, c’est vrai des éditoriali­stes en général. C’est comme quand on sort du cinoche et que l’on est seul, on a envie de tailler la bavette avec la personne d’à côté…

Ce livre est aussi l’occasion de rappeler que l’on travaille beaucoup pendant le Festival de Cannes… Un journalist­e qui fait Cannes sérieuseme­nt, c’est sacrificie­l ! L’an passé, pour la première fois, nous avions organisé un premier pot, pendant la projection du film d’ouverture. Dès le Woody Allen lancé, nous sommes allés sur la plage. C’était le seul moment où les journalist­es pouvaient se permettre ça, leur article étant déjà écrit. Dès le lendemain, c’est un mouvement perpétuel de projection­s, qui commence tous les jours à  heures du matin. Pour l’économie du cinéma, que représente le Festival de Cannes ? C’est le rendez-vous qui publie le véritable bulletin de santé du cinéma, à savoir l’examen de la créativité mondiale, avec chaque année de nouveaux visages et de nouvelles signatures. C’est le moment ou l’on guette les fameux « deuxièmes » films pour confirmer les auteurs, et c’est le lieu où l’on attend les grands monstres qui font naître des vocations. C’est donc à la fois un rendezvous extrêmemen­t artistique, mais c’est aussi un rendez-vous économique essentiel, car il ne faut jamais oublier que la moitié des accrédités de Cannes (plus de   personnes) vient pour ce marché du film, qui est le plus important du monde avec Toronto.

En fonction de ces critères, on peut donc avoir d’excellents millésimes et des moins bons ? Le cinéma est une économie de prototypes. Cela veut donc dire que l’on ne peut pas bâtir un business de façon mécanique. Le reporting est beaucoup plus subjectif et est fait de paris. Vous pouvez avoir une année extrêmemen­t gourmande sans qu’aucun des films présentés ne passe à l’histoire. Cela n’empêche pas qu’il y ait eu plein de bons films, et ces années-là sont essentiell­es.  et  ont été des années extrêmemen­t prolifique­s pour les cinémas du monde et pour les entrées en France. Cannes doit être une caisse de résonance qui donne envie. C’est comme certaines compétitio­ns sportives : plus elles sont passionnan­tes, plus vous allez au stade et plus il y a de licenciés. Cannes peut augurer d’un bel hiver, car c’est un formidable accélérate­ur de particules. Pour les entrées en salles, il est très important qu’un tiers des films sortent à peu près en même temps que leur projection. C’est le cas du film d’ouverture. Thierry Frémeaux [délégué général du Festival, Ndlr] dit toujours qu’on fait le bilan de la sélection de Cannes aux césars de l’année suivante.

Il est toujours de bon ton de railler le côté « trop intello » de la sélection. Cannes, c’est avant tout un laboratoir­e ? C’est un laboratoir­e à deux titres. C’est un laboratoir­e car dans toutes les sélections officielle­s, vous avez énormément de premiers et seconds films, et vous avez des réalisateu­rs qui viennent du monde entier. C’est aussi un laboratoir­e technique, car c’est le premier festival qui a diffusé des films en numérique. Et cela a fait débat. Cette année, il y a eu un début de polémique sur le fait que Netflix a financé deux films. Nous, on sélectionn­e les films car on les trouve bons, en vérifiant bien sûr que la diffusion en salle soit privilégié­e. Nous allons également présenter des fragments de film en réalité virtuelle. Ils procurent la même émotion que celle qu’a dû offrir la première projection des frères Lumière. Oui, à tous ces titres, Cannes est un laboratoir­e vivant et une vitrine.

Quel est votre premier souvenir de Cannes ? C’est quelques visages d’actrice en noir et blanc, comme Elizabeth Taylor, Simone Signoret, Brigitte Bardot ou Sophia Loren, Claudia Cardinale, Gina Lollobrigi­da… C’est des starlettes sur la plage, c’est la proximité incroyable des stars. C’est aussi les grands entretiens de François Chalais.

Et votre premier Festival en tant que profession­nel ? C’est en  et j’anime tous les soirs un direct pour Europe . Vous vous rendez compte, c’est l’année d’Apocalypse Now, du Tambour ,des Moissons du ciel, et de Série noire et de La Drôlesse. C’était une sélection insensée ! On arrive à la fin du Festival, et hors compétitio­n, seul, je découvre le dernier Woody Allen, Manhattan. En rentrant à pied, le long de la place, je réalise que je viens de voir, en noir et blanc, un chef d’oeuvre d’une modernité insensée… Vous n’avez pas caché votre agacement du « trop paillette et trop people » de récentes éditions ? On essaie effectivem­ent que ce soit plus simple et qu’il n’y ait à  % que des gens de cinéma. Pour ce e anniversai­re, on ne va pas faire la palme des palmes. Mais comme c’est un compte rond, on veut que ce soit festif. Le mardi , nous proposeron­s un festival de montages extraordin­aires, de tout ce qui a fait Cannes, du sourire aux larmes. On montrera tout, les vedettes, les scandales…

Comment et pourquoi devient-on président du Festival de Cannes ? Le cinéma est l’un des sept arts qui a sans doute la relation la plus forte avec la culture populaire. Je pense que le fait d’avoir touché à beaucoup de choses (radio, télé, foot, théâtre), et mon âge, ont joué dans ma nomination. Et puis j’aime travailler en duo. C’était le cas avec Alain De Greef à Canal+, et ça l’est aussi avec Thierry Frémeaux. Nous partageons énormément de choses : le cinéma évidemment, la musique, le foot, et une façon de faire qui repose sur le dialogue. Comme dans un club de foot, nous avons ce rapport président-entraîneur. Nous échangeons beaucoup, mais c’est lui qui fait l’équipe et qui imprime la tactique.

Comment sentez-vous ce millésime  ? J’ai vu beaucoup de bons films avec une griffe, dont on sort en parlant, en débattant et en s’extasiant. Cela me semble être un millésime très prometteur par sa diversité. Il y a un très bon équilibre entre les cinéastes connus et ceux que l’on va découvrir. 1. 70e Festival de Cannes, du 17 au 28 mai. 2. Ces années-là, 70 chroniques pour 70 éditions, Stock, 330 pages, 21,5 euros.

Le bilan de Cannes se fait aux césars de l’année suivante ” On essaie qu’il n’y ait, à  %, que des gens de cinéma ”

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