Pierre Lescure: «Cannes est un laboratoire et une vitrine»
Son président évoque l’impact du plus prestigieux festival de cinéma au monde, son fonctionnement, ses souvenirs personnels en la matière, et se réjouit d’un millésime 2017 « très prometteur »
Incontournable et parfois contesté pour son côté élitiste, le Festival de Cannes fête cette année sa soixante-dixième édition Son président, Pierre Lescure, explique en quoi le plus grand festival du monde est d’abord un « rendez-vous artistique et économique ». Un président qui ne veut que des stars du cinéma pour monter les marches. années de Festival, chroniques de journalistes pour célébrer l’événement (). Sans critique, pas de Festival ? Les critiques font partie intégrante de l’histoire des films, qu’ils soient suivis ou pas. Depuis ans que je fréquente les gens de cinéma, une chose me frappe : quand vous parlez avec un réalisateur à la sortie de son film, il ne vous parle que d’une seule critique, celle qui est négative ! C’est quelque chose de vivant, la critique, mais ce n’est pas notre ambassadeur. Moi qui aime la presse écrite de façon presque charnelle, j’aime les critiques avec lesquels j’ai l’impression de dialoguer, même quand je ne suis pas d’accord. D’ailleurs, c’est vrai des éditorialistes en général. C’est comme quand on sort du cinoche et que l’on est seul, on a envie de tailler la bavette avec la personne d’à côté…
Ce livre est aussi l’occasion de rappeler que l’on travaille beaucoup pendant le Festival de Cannes… Un journaliste qui fait Cannes sérieusement, c’est sacrificiel ! L’an passé, pour la première fois, nous avions organisé un premier pot, pendant la projection du film d’ouverture. Dès le Woody Allen lancé, nous sommes allés sur la plage. C’était le seul moment où les journalistes pouvaient se permettre ça, leur article étant déjà écrit. Dès le lendemain, c’est un mouvement perpétuel de projections, qui commence tous les jours à heures du matin. Pour l’économie du cinéma, que représente le Festival de Cannes ? C’est le rendez-vous qui publie le véritable bulletin de santé du cinéma, à savoir l’examen de la créativité mondiale, avec chaque année de nouveaux visages et de nouvelles signatures. C’est le moment ou l’on guette les fameux « deuxièmes » films pour confirmer les auteurs, et c’est le lieu où l’on attend les grands monstres qui font naître des vocations. C’est donc à la fois un rendezvous extrêmement artistique, mais c’est aussi un rendez-vous économique essentiel, car il ne faut jamais oublier que la moitié des accrédités de Cannes (plus de personnes) vient pour ce marché du film, qui est le plus important du monde avec Toronto.
En fonction de ces critères, on peut donc avoir d’excellents millésimes et des moins bons ? Le cinéma est une économie de prototypes. Cela veut donc dire que l’on ne peut pas bâtir un business de façon mécanique. Le reporting est beaucoup plus subjectif et est fait de paris. Vous pouvez avoir une année extrêmement gourmande sans qu’aucun des films présentés ne passe à l’histoire. Cela n’empêche pas qu’il y ait eu plein de bons films, et ces années-là sont essentielles. et ont été des années extrêmement prolifiques pour les cinémas du monde et pour les entrées en France. Cannes doit être une caisse de résonance qui donne envie. C’est comme certaines compétitions sportives : plus elles sont passionnantes, plus vous allez au stade et plus il y a de licenciés. Cannes peut augurer d’un bel hiver, car c’est un formidable accélérateur de particules. Pour les entrées en salles, il est très important qu’un tiers des films sortent à peu près en même temps que leur projection. C’est le cas du film d’ouverture. Thierry Frémeaux [délégué général du Festival, Ndlr] dit toujours qu’on fait le bilan de la sélection de Cannes aux césars de l’année suivante.
Il est toujours de bon ton de railler le côté « trop intello » de la sélection. Cannes, c’est avant tout un laboratoire ? C’est un laboratoire à deux titres. C’est un laboratoire car dans toutes les sélections officielles, vous avez énormément de premiers et seconds films, et vous avez des réalisateurs qui viennent du monde entier. C’est aussi un laboratoire technique, car c’est le premier festival qui a diffusé des films en numérique. Et cela a fait débat. Cette année, il y a eu un début de polémique sur le fait que Netflix a financé deux films. Nous, on sélectionne les films car on les trouve bons, en vérifiant bien sûr que la diffusion en salle soit privilégiée. Nous allons également présenter des fragments de film en réalité virtuelle. Ils procurent la même émotion que celle qu’a dû offrir la première projection des frères Lumière. Oui, à tous ces titres, Cannes est un laboratoire vivant et une vitrine.
Quel est votre premier souvenir de Cannes ? C’est quelques visages d’actrice en noir et blanc, comme Elizabeth Taylor, Simone Signoret, Brigitte Bardot ou Sophia Loren, Claudia Cardinale, Gina Lollobrigida… C’est des starlettes sur la plage, c’est la proximité incroyable des stars. C’est aussi les grands entretiens de François Chalais.
Et votre premier Festival en tant que professionnel ? C’est en et j’anime tous les soirs un direct pour Europe . Vous vous rendez compte, c’est l’année d’Apocalypse Now, du Tambour ,des Moissons du ciel, et de Série noire et de La Drôlesse. C’était une sélection insensée ! On arrive à la fin du Festival, et hors compétition, seul, je découvre le dernier Woody Allen, Manhattan. En rentrant à pied, le long de la place, je réalise que je viens de voir, en noir et blanc, un chef d’oeuvre d’une modernité insensée… Vous n’avez pas caché votre agacement du « trop paillette et trop people » de récentes éditions ? On essaie effectivement que ce soit plus simple et qu’il n’y ait à % que des gens de cinéma. Pour ce e anniversaire, on ne va pas faire la palme des palmes. Mais comme c’est un compte rond, on veut que ce soit festif. Le mardi , nous proposerons un festival de montages extraordinaires, de tout ce qui a fait Cannes, du sourire aux larmes. On montrera tout, les vedettes, les scandales…
Comment et pourquoi devient-on président du Festival de Cannes ? Le cinéma est l’un des sept arts qui a sans doute la relation la plus forte avec la culture populaire. Je pense que le fait d’avoir touché à beaucoup de choses (radio, télé, foot, théâtre), et mon âge, ont joué dans ma nomination. Et puis j’aime travailler en duo. C’était le cas avec Alain De Greef à Canal+, et ça l’est aussi avec Thierry Frémeaux. Nous partageons énormément de choses : le cinéma évidemment, la musique, le foot, et une façon de faire qui repose sur le dialogue. Comme dans un club de foot, nous avons ce rapport président-entraîneur. Nous échangeons beaucoup, mais c’est lui qui fait l’équipe et qui imprime la tactique.
Comment sentez-vous ce millésime ? J’ai vu beaucoup de bons films avec une griffe, dont on sort en parlant, en débattant et en s’extasiant. Cela me semble être un millésime très prometteur par sa diversité. Il y a un très bon équilibre entre les cinéastes connus et ceux que l’on va découvrir. 1. 70e Festival de Cannes, du 17 au 28 mai. 2. Ces années-là, 70 chroniques pour 70 éditions, Stock, 330 pages, 21,5 euros.
Le bilan de Cannes se fait aux césars de l’année suivante ” On essaie qu’il n’y ait, à %, que des gens de cinéma ”