Une pièce, deux Molières au théâtre Princesse-Grace
La pièce «Qui a peur de Virginia Woolf ?», pour laquelle le comédien monégasque Wladimir Yordanoff a reçu un Molière, a fait étape mardi soir à Monaco. Devant une salle quasi comble
Tapis et escalier rouge sur fond blanc, et cette situation, embarrassante entre toutes, à laquelle nous avons tous été confrontés un jour: un vieux couple qui s’affronte, entre tendresse et cruauté, à grands coups de mots qui font mal, dans une hargne contagieuse. La pièce d’Edward Albee, écrite en 1962, est jouée pour la première fois à Broadway, puis transposée au cinéma par Mike Nichols (Le Lauréat), avec Elizabeth Taylor (qui y gagne son deuxième Oscar, pour ce qui est considéré comme la meilleure prestation de sa carrière) et Richard Burton. Couple en scène comme à la ville, il est de notoriété publique que ce qu’ils adorent par-dessus tout, c’est se détester. Nichols leur a offert une scène pour le montrer. Voilà qui plante le décor.
Petits massacres entre couples
Quelque part sur un campus américain, Dominique Valadié est Martha, fille du président de l’Université, mariée à Georges, professeur d’histoire à l’ambition contrariée, incarné par Wladimir Yordanoff. Au retour d’une soirée arrosée organisée par son père, Martha invite un jeune professeur séduisant et sa femme « pour être gentil avec eux, comme papa l’a demandé». Georges découvre, contrarié, ce que l’on devine être une énième machinerie de sa soûlarde d’épouse. Le jeune couple est, dès son arrivée, plongé au coeur d’un jeu pervers du chat et de la souris, nourri par des dialogues où les insultes et autres jurons sont maniés avec une dextérité de dentellière.
Deux statuettes, une nomination
Les vieux complices ennemis offrent aux plus jeunes une vision d’un avenir terrifiant dans lequel ils refusent de se projeter, sous le regard amusé du public monégasque, oscillant entre éclats de rire et silence grave. Dominique Maladie, nominée aux Molières, incarne une Martha moins tendue qu’Elizabeth Taylor, mais dont la cruauté est d’autant plus frappante qu’elle est nonchalante. Wladimir Yordanoff, quant à lui, a largement mérité le Molière reçu pour ce rôle, il y a tout juste un an. Il campe remarquablement l’homme dantesque, intérieurement brisé par son épouse déçue, qui continue de le piétiner autant qu’il la malmène, et qu’il achève dans un sursaut de panache. Le décor dépouillé met en exergue la mise en scène tirée au cordeau du funambule Alain Françon, qui décroche là sa deuxième statuette.