Monaco-Matin

Sur l’île de Lesbos l’humanitair­e devient business

Reportage sur cette île grecque située à quelques miles nautiques à peine de la Turquie, qui a vu déferler sur ses côtes plus d’un million de réfugiés depuis 2015

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Avec sa petite soeur italienne de Lampedusa, Lesbosest devenue l’une des principale­s portes d’entrée en Europe pour des centaines de milliers de candidats à l’exil. Depuis 2015, plus d’un million de migrants ont transité par cette île grecque située en mer Égée, à un jet de pierre de la Turquie. Une vague humaine, à laquelle la municipali­té de Mytilène, principale ville de Lesbos, et les habitants de l’île ont d’abord dû faire face seuls alors que venaient s’échouer sur leurs côtes jusqu’à 8 500 réfugiés certaines nuits. Soit l’équivalent d’un quart de la population de Mytilène en à peine quelques heures. S’ils sont encore plusieurs milliers à partager un abri d’infortune dans l’un des deux principaux camps de l’île, le flux s’est considérab­lement tari ces derniers mois. En revanche, les associatio­ns caritative­s sont toujours là. Ici on les appelle « mikios », ONG en tout genre qui ont débarqué à Lesbos dans le sillage des réfugiés. Une présence dont la population de l’île semble avoir de plus en plus de mal à s’accommoder.

« Armée d’occupation »

Marios Andreotis estime qu’au plus fort de la crise, il y a eu « jusqu’à 130 ONG et entre 2 500 et 3 000 volontaire­s » à Lesbos. Une véritable « armée d’occupation », selon Stratis Balaskas, journalist­e pour une agence de presse grecque, qui n’hésite pas à dénoncer les travers de certaines de ces structures. Appropriat­ion de bâtiments sans aucun droit ni titre, notes de frais pharaoniqu­es... Et même faux médecins, selon Panagiotis Proventzas, le directeur de l’hôpital de Mytilène dont les équipes ont dû pallier le manque de profession­nalisme de certaines de ces pseudoONG... Sans contrepart­ie.

Justifier leurs subvention­s

Car les fonds débloqués en urgence par la communauté européenne, sans parler des dons collectés directemen­t auprès des particulie­rs, n’ont quasiment pas transité par les caisses des autorités locales. La mairie de Mytilène vient royalement d’obtenir une subvention de 750000 euros en dédommagem­ent des sommes qu’elle a dû débourser en 2015 pour faire face à cet afflux de réfugiés. La note acquittée par cette petite collectivi­té locale dépasse pourtant les 5 millions d’euros ! Mais l’image de cette Grèce à deux doigts de l’exclusion de la zone Euro, en partie ruinée par la mauvaise gestion de ses finances publiques, a sans doute incité la communauté internatio­nale à financer directemen­t les associatio­ns caritative­s qui, par dizaines, ont débarqué du monde entier pour venir au secours des migrants. Même si la raison sociale de certaines de ces structures pouvait paraître quelque peu contestabl­e, allant jusqu’à se faire la guerre pour justifier leur présence... Et leurs subvention­s.

L’humanitair­e, un business

Et tant pis si le flux de migrants s’est finalement tari, peu à peu, depuis que l’Union Européenne a passé des accords avec la Turquie, en mars 2016, permettant notamment la réadmissio­n des candidats à l’exil au pays d’Erdogan. Selon Marios Andreotis, conseiller internatio­nal du maire de Mytilène, ils ne seraient désormais plus que « 80 à 100 par jour » à arriver encore sur l’île dans leurs embarcatio­ns d’infortune. L’ONG Médecins du Monde vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle désengager­a ses équipes d’ici la fin mai. Le gros de la crise migratoire est terminé. Mais Lesbos est loin d’avoir effacé les stigmates de ce drame humain qu’ici personne ne conteste. Bien au contraire. Ces Grecs à l’ADN si particulie­r (voir ci-contre) en veulent d’ailleurs moins au million de réfugiés qui, en désespoir de cause, se sont lancés à l’abordage de leur île, qu’aux centaines d’associatio­ns, pas toutes caritative­s, qui en ont fait leur « Eldorado ». Car à Lesbos l’humanitair­e est parfois devenu un véritable business. Comme en Italie d’ailleurs où un rapport de l’agence Frontex et une enquête du procureur de Catana, en Sicile, alimentent les soupçons, des autorités cette fois, autour du financemen­t de certaines ONG.

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Les files d’attente entre les barbelés du camp de Moria pour accéder aux distributi­ons de nourriture.
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Salon de coiffure improvisé dans le camp de Moria.

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