Gouverner par ordonnance, comment ça marche?
Emmanuel Macron l’avait annoncé avant même son élection: il veut réformer rapidement le droit du travail en utilisant ce procédé. A-t-il pour autant les coudées franches?
Professeur agrégé des universités, Pascal Jan enseigne à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Cet été, il publie le tome 3 d’une série sur Les Constitutions de la France. Celui-ci aura pour thème La République gouvernée (19582017). Et il ne manque pas d’y faire allusion aux ordonnances. Selon lui, le fait de gouverner ainsi «ne court-circuite en rien le travail du Parlement». Pourtant, l’ordonnance s’applique avant-même sa ratification par le Parlement. La séparation des pouvoirs exécutif et législatif est-elle respectée? Que se passe-t-il si l’ordonnance n’est pas ratifiée par le Parlement? Est-ce une nouveauté sous la Ve République? Pascal Jan décode ce processus que les Français, dans leur grande majorité, découvrent. La prise d’une ordonnance est une procédure prévue par l’article de la Constitution. Elle permet au gouvernement d’accélérer le rythme des réformes. Concrètement, elle lui permet, à travers une loi d’habilitation, de prendre des actes réglementaires, relevant initialement de la compétence du Parlement. Celui-ci autorise ainsi, pendant un délai limité, le gouvernement à agir à sa place. Ces actes réglementaires ne deviennent loi qu’après ratification par le Parlement.
Le gain de temps est-il important ? Un an au minimum. Car l’acte réglementaire est applicable dès sa publication au Journal officiel, et donc avant la ratification par les députés. La parution au JO intervient très rapidement, puisque les navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat sont moindres à ce stade, par rapport à un projet de loi qui suivrait la voie législative normale. Ce qui n’empêche pas le débat parlementaire.
Les futurs députés seront-ils au chômage technique ? Je suis révolté lorsque j’entends dire que les ordonnances court-circuitent le Parlement. Ce n’est pas vrai. Le Parlement agit en autorisant les ordonnances par une loi d’habilitation, puis en les validant par une loi de ratification. Il y a un débat en amont, uniquement sur les objectifs et finalités des ordonnances, car le gouvernement n’est pas tenu de présenter en détail son projet. Il ya à nouveau débat en aval, au moment de la ratification. A ce moment-là, le Parlement peut tout à fait amender les ordonnances, les compléter ou abroger certains de leurs éléments. Cela redevient de la compétence du législateur. Il y a bien, au moment de la ratification, navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Au gouvernement de convaincre sa majorité de les conserver en l’état.
Une ordonnance peut-elle être attaquée ? Jusqu’à la ratification parlementaire, les ordonnances continuent bien évidemment à s’appliquer et peuvent être contestées devant le juge administratif. Ratifiées par la loi, les ordonnances ont valeur législative et ne peuvent, de ce fait, être contestées que par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité par une personne qui estimerait qu’une ordonnance porte atteinte à un de ses droits et libertés garantis par la Constitution.
Et si elle n’est pas ratifiée ? L’ordonnance est caduque. Elle demeure un acte réglementaire, qui a une valeur inférieure à la loi. Un décret pris par le pouvoir exécutif ne peut être contraire à une loi votée par le pouvoir législatif. Si les députés refusent de ratifier une ordonnance, le gouvernement peut déposer un projet de loi en suivant la procédure classique. Mais si le Parlement refuse de ratifier l’ordonnance, on ne voit pas pourquoi il accepterait un projet de loi comprenant des dispositions identiques aux ordonnances contestées. Emmanuel Macron a impérativement besoin d’une majorité législative ? C’est indispensable pour n’importe quelle réforme législative. Cela étant, les ordonnances prises par le gouvernement sont systématiquement, sauf rares exceptions, validées par les parlementaires. Avec l’article alinéa de la Constitution, d’abord il faut une délibération du Conseil des ministres pour engager la responsabilité du gouvernement sur un texte. On parle souvent de passage en force, mais il y a débat parlementaire. C’est d’ailleurs à la suite du débat parlementaire, lorsque le gouvernement constate l’existence d’un blocage insurmontable et de l’urgence d’agir, que l’engagement de responsabilité s’impose. Le . concerne un texte législatif. Si vous prenez la loi Macron de , il y a bien eu une navette entre les deux assemblées, et autant de lectures parlementaires. Le alinéa a été opposé à chaque lecture à l’Assemblée nationale. L’ordonnance est prise en Conseil des ministres. Elle est signée par le Président, qui le préside. Si le gouvernement de cohabitation – ce n’est pas le cas qui se profile avec certitude aujourd’hui – veut agir par ordonnance, il peut déposer un projet de loi d’habilitation. Mais si le président de la République ne signe pas, et c’est son droit, dans ce cas le gouvernement doit choisir la voie législative classique, plus longue.
Quelles critiques feriez-vous de ce processus ? J’en ferai une sur la technique elle-même. Assez souvent, le gouvernement ne prend pas toutes les ordonnances pour lesquelles il était habilité. On peut se demander quel était l’intérêt d’avoir une loi d’habilitation pour telle ou telle ordonnance. Je ferai une autre critique sur le délai, que le gouvernement demande et qui est inscrit dans la loi d’habilitation : dix-huit mois, c’est long pour prendre une ordonnance. La procédure législative de droit commun serait certainement plus appropriée dès lors que l’urgence n’est pas manifeste.