Monaco-Matin

Ecouter avec bienveilla­nce l’enfant qui sommeille en nous Livre

Le célèbre pédiatre Aldo Naouri revient avec un ouvrage court mais intense dans lequel il évoque ce petit être resté tapi au fond de nous et qui cherche à nous guider

- PROPOS RECUEILLIS PAR AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Dans l’univers de la pédiatrie, le Dr Aldo Naouri est connu comme le loup blanc. Profession­nel réputé et auteur prolixe – sa bibliograp­hie compte une vingtaine d’ouvrages –, il vient de publier « Entendre l’enfant » aux Éditions Odile Jacob. Un petit livre qui pourrait presque passer inaperçu. Presque seulement. La couverture accroche le regard. Un dessin représenta­nt un enfant de dos, salopette et t-shirt rayé. Il semble attendre qu’on le remarque. Qui est-il ce bambin dont on ne devine ni l’âge ni le sexe? Il est chacun de nous. Il est l’enfant qui sommeille en nous et à qui nous devrions prêter une oreille plus attentive. C’est là tout le propos du sémillant pédiatre écrivain.

Comment en êtes-vous arrivé à écrire ce livre, qui évoque l’enfant en nous, et dans lequel vous n’hésitez pas à raconter une partie de votre histoire ? C’est un projet qui s’est fait de façon souterrain­e. L’idée a circulé comme ça en moi pendant des années sans que je me doute que quelque chose. Un jour, il y a eu une résurgence qui m’a permis de percevoir qu’il y avait une matière à explorer. Je me suis dit que ça valait la peine d’essayer d’en faire quelque chose. Depuis le début de mon exercice de pédiatre, une question s’est toujours posée. Nous avons en charge des enfants, sur lesquels on veille, on essaie d’en faire des adultes de qualité. Parfois tout va bien. Parfois ça dérape : qu’est-ce qu’il se passe alors? J’ai rapidement remarqué dans mon exercice profession­nel que les parents cherchaien­t à parler. Mais parler de quoi, je n’en savais rien. Cependant, je me suis rendu compte que lorsque j’écoutais les parents, les enfants allaient infiniment mieux, même si je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Si bien que j’ai décidé que lorsqu’il y avait un problème avec un enfant, j’essayais d’écouter les parents. Je me suis rendu compte qu’en définitive, le parent, avec son enfant, revivait fréquemmen­t des choses qui étaient restées non résolues pour lui lorsqu’il était enfant. Et que de l’aider à résoudre ses problèmes, cela lui évitait de les projeter par ses propres enfants.

A-t-on tous un enfant en nous ? Ceux qui ont été bien élevés et bien éduqués oui. Ceux qui ne l’ont pas été, non car ils sont restés des enfants. Ils ont simplement enfilé des oripeaux d’adultes, ils conservent des comporteme­nts d’enfants qui cherchent à imposer leur point de L’enfant en nous chemine toujours à nos côtés. L’entendre, c’est accepter de se laisser guider par lui.

vue, incapables de se remettre en question. Si on y regarde de plus près, lorsque l’on considère qu’un enfant c’est le contraire de l’adulte, le contraire de la raison, alors on ressent la persistanc­e de l’enfant en soi comme une sorte de handicap. Mais ce n’est pas du tout cela! L’enfant qu’on a en nous est une richesse, il prouve que nous sommes des êtres éduqués, qui fabriquent du lien social, qui font avancer l’humanité…

Vous insistez sur l’importance de l’éducation… Oui parce qu’elle est ce qui fait de nous des êtres évolués. Je fais donc une apologie de l’éducation et une condamnati­on très ferme de la nonéducati­on !

Quel est le point central de l’éducation ? C’est la frustratio­n. Il ne peut pas y avoir d’éducation sans la frustratio­n. Pour une raison simple : le bébé naît comme il naissait il y a  millions d’années, c’est-à-dire un individu autocentré qui ne cherche que son plaisir, qui n’accepte pas que l’autre existe, que des choses soient distribuée­s aux autres. Quand on le frustre, il finit par en prendre son parti et il va essayer de gagner l’amour de son parent en acceptant la frustratio­n. Et dès lors qu’il accepte la frustratio­n, il accepte l’effort, il accepte l’existence de l’autre. Ce sont des enjeux de société

extrêmemen­t importants. Bien sûr. Non seulement je le constate mais je le déplore. Parce que ça a donné lieu à l’individual­isme, au « moi d’abord, les autres, je m’en fiche ». Alors que le lien social c’est précisémen­t le contraire. C’est « nefaispasà autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Or l’éducation – la bonne – a été mise en Dr Aldo Naouri

place il y a environ   ans, elle a été trouvée de manière empirique, elle a permis à l’humanité de progresser. Voilà qu’il y a  ans, on a décidé de s’en débarrasse­r. On n’ose plus frustrer les enfants rois. C’est une catastroph­e parce que ça a donné une épidémie de tyrans.

Un « tyran » va-t-il donner naissance à un enfant qui le deviendra à son tour ? Pas forcément. Parce qu’il a deux parents. Donc deux discours vont s’appliquer à lui, même si celui de la mère est prégnant parce que l’expérience de la gestation met en place un module de communicat­ion authentiqu­e et physique entre la mère et l’enfant qui n’existe pas avec le père. Mais

à partir du moment où une femme a investi un homme, elle est tout à fait capable de sous-titrer ce qu’il dit pour que l’enfant y accède. Elle est aussi capable de prendre appui sur le discours de cet homme pour s’écarter de celui qui lui a été tenu lorsqu’elle était enfant. Tout à fait. J’ai défini la surface dans laquelle circule l’enfant depuis le nouveau-né jusqu’au vieillard. Je montre à quel point il est tout le temps présent. J’invite le lecteur à essayer de penser l’enfant qu’il a en lui en lui faisant lire ce qui a été l’enfant en moi. Par associatio­n et à son insu, il va convoquer l’enfant qu’il a en lui. Si bien que cet enfant qui va faire son chemin et va enfin lui apparaître – comme il m’est apparu – comme une aide extraordin­aire. Surtout, il ne faut pas en avoir peur. Il faut l’entendre prendre la parole. Cet enfant en nous va nous permettre de ne pas nous sentir diminué par lui mais plutôt enrichi par lui ! Il nous murmure « tuesun être qui a du mérite ». Apprendre aux gens à relativise­r tout ce qu’ils peuvent recevoir comme discours terrorisan­ts, au moyen même de l’enfant qu’ils ont en eux, c’est peut-être quelque chose qui leur permettra de progresser. Dans les livres que j’ai écrit avant, je me suis évertué à démontrer par A + B que j’avais raison. J’ai donné toutes les explicatio­ns possibles et imaginable­s. Ça n’a pas convaincu grand monde… Ça n’a convaincu que les convaincus. Cette fois-ci je me suis dit : “je vais écrire des choses lapidaires, ces choses lapidaires vont choquer, vont poser des questions mais ne seront pas assimilées à de l’idéologie. C’est-àdire que je ne pêcherai pas par excès de vouloir convaincre. Y adhère qui veut y adhérer”. Une position comme celle-là m’a semblé pouvoir donner plus de force à ce que je disais. J’ai toujours écrit dans le souci du pédiatre qui ambitionne de faire de la thérapie de masse, de faire comprendre au plus grand nombre les choses les plus importante­s. Je viens ici restituer à la société le bien qu’elle m’a donnée. Ma mère a été veuve deux mois avant ma naissance (Aldo Naouri avait  frères et soeurs plus âgés, Ndlr) pourtant je crois que personne n’a eu autant de père que moi parce qu’elle en a beaucoup parlé, elle me l’a construit. Si objectivem­ent parlant, j’ai eu une enfance des plus misérables, des plus éprouvante­s ; subjective­ment j’ai eu une enfance fantastiqu­e tellement j’ai été aimé, aidé, éduqué. Donc ce que j’ai reçu en tant qu’enfant, j’aurais voulu que tous les enfants puissent en bénéficier. Et je me suis rendu compte que l’enseigneme­nt que je recevais n’était pas suffisant pour permettre à ces enfants-là d’en bénéficier, j’ai donc multiplié les formations pour pouvoir leur apporter le plus possible de ce que j’ai pu connaître. Parce qu’il condense des choses pour lesquelles j’ai consacré des livres entiers. Je n’en sais rien. Je ne sais pas que j’ai un livre en moi tant que j’en accouche pas. Je n’ai jamais écrit mes livres, ils se sont écrits par moi.

 ?? (Photos Ax.T. et DR) ?? D’autant que la société a beaucoup évolué ces dernières décennies. Vous dévoilez votre parcours et l’enfant que vous avez en vous. C’est une manière de démontrer par l’exemple? Comment appréhende­r l’enfant que l’on a en nous ? Qu’est-ce que cet ouvrage...
(Photos Ax.T. et DR) D’autant que la société a beaucoup évolué ces dernières décennies. Vous dévoilez votre parcours et l’enfant que vous avez en vous. C’est une manière de démontrer par l’exemple? Comment appréhende­r l’enfant que l’on a en nous ? Qu’est-ce que cet ouvrage...

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